Texte écrit par les Jeunes anticapitalistes (JAC) à l’occasion d’une interview avec la revue Politique. (1)Disponible sur https://www.revuepolitique.be/une-idee-perimee-parole-a-la-jeunesse/
Pour nous, les Jeunes anticapitalistes, militant•e•s de la commission jeunes de la Gauche anticapitaliste, le communisme est loin d’être un concept désuet. Nous nous revendiquons du communisme défini aussi bien comme stratégie de lutte que comme projet de société alternative au capitalisme, dans le sens émancipateur profond qu’y ont donné Marx et Engels, et qui peut tout à fait encore s’appliquer à la situation actuelle.
En finir avec le capitalisme…
Pour expliquer cette position, revenons d’abord sur ce qu’est le mode de production capitaliste qui caractérise notre société.
Le capitalisme est un système où une classe sociale minoritaire a le monopole sur l’accès aux moyens de production, et ainsi sur les décisions clés d’investissement et de production, celles-ci étant prises dans un but d’accumulation permanente de capital et non de la satisfaction des besoins humains. Il est basé sur l’exploitation permanente d’une majorité de la population, que ce soit dans la sphère du travail salarié ou dans la sphère domestique. En outre, son fonctionnement s’appuie sur des divisions créées et des discriminations correspondantes entre groupes sociaux – sur base notamment du genre, de la race, de la sexualité… En d’autres mots, l’exploitation et l’oppression sont inhérentes au capitalisme. S’il ne suffit pas de sortir de ce système pour supprimer une fois pour toute les différentes oppressions et formes de dominance, il s’agit néanmoins d’une condition nécessaire.
De surcroît, comme l’a déjà analysé Marx il y a presque deux siècles, les contradictions internes du mode de production capitaliste mènent à des crises sociales et économiques profondes. Ainsi, ce qu’on appelle les crises de surproduction – situation absurde où les invendus et les capacités de production inutilisées s’accumulent, en même temps que le chômage et la misère – se produisent régulièrement comme résultat inévitable des dynamiques économiques du marché. À ces crises s’ajoutent d’autres types de crises : sociales, politiques, sanitaires, environnementales… plus ou moins irrégulières, mais clairement liées entre elles et aux rapports sociaux capitalistes. À l’heure actuelle, on fait face à une crise écologique sans précédent, une menace non seulement pour la civilisation humaine mais pour le monde du vivant tout court, qui est intimement liée au productivisme inhérent au système.
… pour mettre en avant une société alternative
Ainsi, pour mettre fin à l’exploitation humaine, à l’oppression des femmes, des personnes racisées et des LGBTI+, et à la destruction des écosystèmes, nous défendons l’abolition du capitalisme, au profit d’une société fondamentalement différente. Une société alternative où une planification démocratique et écologique de l’économie permettrait de satisfaire les besoins fondamentaux de toutes et tous dans le respect de l’environnement naturel, duquel l’humain fait intégralement partie. Ce serait donc à la population dans son ensemble, les travailleur•euses et usager•ères, de contrôler les moyens de production et de décider démocratiquement de ce qui doit être produit, dans quelle quantité et dans quelles conditions. C’est un projet de société que nous appelons « écosocialiste », et qui n’a rien à voir avec une vision réformiste de gestion de l’État capitaliste, ni avec l’autoritarisme bureaucratique qui existait auparavant en URSS et en Europe de l’Est ou avec le nouveau capitalisme d’État en Chine.
Comme le remarque Michael Löwy, l’écosocialisme peut se définir comme « un courant de pensée et d’action écologique qui fait siens les acquis fondamentaux du marxisme tout en le débarrassant de ses scories productivistes ». En particulier, le concept de « communisme » tel que conçu par Marx, reste un héritage fondamental : il ne s’agit pas d’une vision purement idéaliste ou utopique d’une société alternative, ou encore d’une vision bureaucratique ou paternaliste de gestion « par en haut », mais au contraire d’un projet de lutte et de société qui se base sur l’auto-émancipation des exploité•e•s, d’un « mouvement autonome de l’immense majorité luttant dans l’intérêt de l’immense majorité » en vue de construire un « humanisme pleinement développé ». Une analyse marxiste non-dogmatique qui intègre les enjeux actuels n’est aucunement en opposition avec cette idée : il est clair pour nous qu’une société alternative désirable ne peut se construire sans inclure dans les mouvements émancipateurs la lutte contre le patriarcat, contre le racisme structurel, ou contre toute autre forme de discrimination et d’oppression qui se mêle à l’exploitation au travail, ou qui ignore les défis et contraintes environnementales.
En ce sens, nous sommes communistes et nous n’avons jamais cessé de l’être.
What’s in a name ?
Un nom porte parfois plus de connotations qu’on ne voudrait, et malheureusement la même rose ne sent pas toujours aussi bon quand on change sa désignation. Surtout en politique… Ainsi, le concept de communisme peut évoquer des idées ou des réalités historiques bien différentes, voire diamétralement opposées au projet de société que nous défendons.
Néanmoins, nous ne voulons pas renoncer au mot, pour trois raisons.
Premièrement, il porte en lui des notions clés pour une voie alternative au capitalisme : la mise en commun du pouvoir tout comme la généralisation des biens communs.
Deuxièmement, il nous place dans une histoire longue : le Manifeste communiste, la Commune de Paris, la révolution de 1917, la révolution allemande, la résistance au nazisme, l’opposition de gauche au stalinisme… dont nous avons beaucoup à apprendre, y compris pour tirer les leçons des erreurs qui ont été commises.
Troisièmement, parce qu’y renoncer serait céder à une falsification historique : l’idée que les systèmes bureaucratiques du bloc de l’est, voire le capitalisme autoritaire de la Chine actuelle, seraient le débouché naturel de l’idée communiste — alors qu’ils sont issus d’une trahison et d’une contre-révolution. Une falsification entretenue par la droite, ou par la social-démocratie qui l’utilise pour justifier sa renonciation à toute perspective révolutionnaire, mais aussi par des courants staliniens ou maoïstes qui se réclament eux-mêmes du « communisme ».
Mais nous ne nous accrochons pas non plus à ce terme comme à notre signe de ralliement, et nous n’en faisons le premier élément de notre identité que nous voulons montrer, comme à l’époque où nous nous appelions Ligue communiste révolutionnaire (LCR). Pour, là encore, trois raisons.
Premièrement, parce que, comme disait Daniel Bensaïd, « le XXe siècle a abîmé les mots ». Le communisme est associé, dans l’imaginaire collectif, au stalinisme et à ses héritiers, qui l’ont vidé de son sens – si le PTB semble désormais vouloir éviter l’utilisation du terme en face du grand public, ce n’est pas le cas d’un Fabien Roussel du Parti communiste français… ou d’un Xi Jinping. Pour cette raison sans doute, beaucoup de personnes ont des conceptions politiques qui correspondent à notre idée du communisme, sans se reconnaître dans le terme : certaines se diront anarchistes, d’autres simplement anticapitalistes. Dans l’état actuel des choses, mettre en avant notre identité communiste risque donc de brouiller plus notre message que de le clarifier.
Deuxièmement, parce que le terme porte également l’idée d’un système, défini et figé, comme les utopies d’un Thomas More ou d’un Robert Owen, que l’on souhaiterait mettre en place par un processus qui serait alors nécessairement autoritaire. Nous préférons la conception de Marx, selon laquelle « le communisme n’est pas un état de chose qu’il convient d’établir, un idéal auquel la réalité devra se conformer, mais le mouvement réel qui abolit l’état actuel des choses ». Le communisme consiste pour nous à prendre, collectivement, le contrôle de ce qui détermine nos vies, pour décider ce que nous en faisons ; pas à se plier à un schéma préconçu. Ce communisme-là est davantage présent dans les prises de parole du piquet de grève d’un service de nettoyage, dans une ZAD, dans un collage féministe, dans un rassemblement contre les violences policières, ou dans les assemblées générales d’une occupation de personnes sans papier, que dans certaines réunions qui se terminent par L’Internationale.
Troisièmement, parce qu’il est pertinent pour nous de mettre en avant toutes les leçons historiques et tous les apports qui ont permis de diversifier et d’approfondir une interprétation souvent trop réductionniste ou simplificatrice du « communisme » : de l’analyse de l’échec de la Commune de Paris ou de la stalinisation de l’URSS, aux luttes décoloniales et celles des mouvements féministe et queer, et bien sûr la prise en compte de l’urgence écologique. Sans doute, il y aura encore beaucoup de mises à jour à faire, qui se feront dans les luttes à venir. Notre communisme à nous abolit le patriarcat, éradique le racisme et est résolument antiproductiviste. Mais le terme ne le porte pas toujours avec autant de clarté que nous le voudrions.
Tout cet état de choses peut être amené à changer, et le terme de communisme pourrait à nouveau être le meilleur à mettre en avant. Ou non : la révolution pour laquelle nous militons peut tout à fait arriver sous un autre nom. Peu importe : que le communisme soit ou non un mot d’avenir, la réalité qu’il recouvre est l’avenir.
On vous l’explique en vidéo
Notes