Le mercredi 19 octobre, à l’Eden de Charleroi, avait lieu un débat entre Daniel Tanuro et Paul Magnette. C’était l’occasion pour ce dernier de présenter son nouveau livre, « La vie large », dans lequel il décrit sa vision de l’écosocialisme. (1)Lire la critique qu’en a fait Daniel Tanuro sur notre site, Entre Jaurès et Bernstein, Paul Magnette devrait choisir… Retour sur les échanges de la soirée et sur ce que cela implique stratégiquement.
Le débat était animé par Sofia Cotsoglou, journaliste de la RTBF, et s’est articulé autour de deux parties principales. Durant la première, les intervenants ont dressé un constat de la situation sociale et environnementale en mettant tous deux en exergue le rôle prédominant du capitalisme, avec toutefois une lecture différente. Pour Paul Magnette, le productivisme capitaliste provient de la volonté des classes populaires de suivre un mode de vie similaire à celui, indécent, des ultra-riches, en nuançant la responsabilité intrinsèque du capitalisme, en parlant par exemple d’ultra-concentration des capitaux. Cette position a été contestée par Daniel Tanuro qui a mis en avant le fait que le productivisme est une conséquence logique du capitalisme, étant donné la concurrence du marché. Autre point d’accord entre les deux invités, la responsabilité évidente des entreprises fossiles dans la crise protéiforme à laquelle nous sommes confronté·e·s. Mais là où le diagnostic est partagé, il y a un désaccord sur la radicalité du remède à apporter, le Président du PS suivant la rengaine social-démocrate de la taxation des sur-profits, alors que son opposant a exposé la nécessité d’exproprier ces grands groupes et de socialiser le secteur de l’énergie.
La deuxième partie du débat s’est axée autour de la stratégie à suivre pour faire advenir une société écosocialiste, et a fait apparaître les profondes oppositions entre les deux intervenants. Comme à son habitude, Daniel Tanuro a mis en avant la nécessité d’un mouvement révolutionnaire mené par la base, par les syndicats et les travailleurs/euses, les activistes, les femmes, les personnes racisées, les peuples indigènes, et tou·te·s les exploité·e·s et les opprimé·e·s en général. De son côté, le bourgmestre de Charleroi était beaucoup plus flou et n’a pas réellement dessiné un projet autre que celui de continuer à jouer au jeu institutionnel en suivant une logique social-démocrate. Les oppositions ont été particulièrement notables sur le plan de la théorie politique, Paul Magnette accusant le marxisme de ne pas prendre la question environnementale en compte, et exemplifiant son propos en invoquant les désastres écologiques causés par la Chine et l’URSS, avec en filigrane l’idée que la social-démocratie était plus adaptée pour remettre en question le productivisme. De son côté, Daniel Tanuro a défendu un marxisme critique, s’adaptant aux nouvelles données sociales, et aussi les germes de pensée écologiste déjà présents dans les écrits de Marx, en tension avec le productivisme. Il a aussi rappelé la responsabilité actuelle et historique des dirigeant·e·s sociaux-démocrates des dernières décennies qui ont accepté et soutenu le projet néolibéral, coupable de la destruction sociale et écologique. Le rapport aux partis écolos a aussi été évoqué. Pour le militant de la Gauche anticapitaliste, le refus de faire la critique du capitalisme caractérisant ce courant mène nécessairement à une lecture incomplète de la société et donc à des erreurs stratégiques. En revanche, pour Paul Magnette cet impensé ne pose pas de problème important et il voit donc en ces partis des alliés.
Les perspectives électoralistes portées par le Président du PS permettent de comprendre la posture très conciliante qu’il a adoptée durant tout le débat. À plusieurs reprises, il a cherché à gommer les désaccords et a formulé le souhait de faire « l’union de la gauche ». Autrement dit, la bataille pour l’hégémonie à gauche face au PTB pour les élections de 2024 a démarré, et le PS cherche à attirer vers lui les courants écologistes et progressistes, y compris écolo. Sans présumer de la sincérité de la démarche, force est de constater qu’il n’y a pas de remise en question profonde du système capitaliste et du réformisme, comme l’indique la faiblesse des propositions développées à la fin du livre. Pour des militant·e·s écosocialistes révolutionnaires, il n’y a rien à attendre d’un tel programme, si ce n’est des améliorations à la marge, qu’il faudra soutenir. En revanche, la popularisation du terme écosocialisme portée par un parti politique de masse pourrait être une bonne chose, pour deux raisons. D’abord, cela pourrait permettre au terme de se diffuser auprès de la population, ce qui pourrait aider à donner une crédibilité au projet de transformation de la société. Cependant, le contenu politique que lui donne le Président du PS est à mille lieues de notre projet transformateur et émancipateur. À nous donc de pointer les insuffisances et contradictions de l’écosocialisme réformiste, et de mettre en avant un véritable programme révolutionnaire capable de radicaliser les mouvements sociaux et climatiques.
Photo : Olivier Bourgy
Notes