Le vendredi 15 avril, nous étions environ 150 (avec 5 tracteurs) à nous rassembler devant le siège social de Colruyt à Halle, suite à l’appel lancé par plusieurs organisations paysannes et de la société civile regroupées au sein du Réseau de Soutien à l’Agriculture Paysanne (Resap).

Le but de ce rassemblement était de lutter contre l’accaparement de terres effectué par Agripartners, filiale du groupe qui a pour but d’acquérir d’importantes surfaces agricoles en Belgique. Ce rassemblement s’inscrit dans le cadre de la Journée mondiale des luttes paysannes du 17 avril, commémorant chaque année le meurtre de 19 paysan·ne·s du Mouvement des travailleurs ruraux sans terre du Brésil le 17 avril 1996, par des tueurs à la solde des grands propriétaires terriens.

Lors de cet évènement, des organisations paysannes (Boerenforum, FUGEA et MAP), des ONG et des organisations politiques des quatre coins de la Belgique se sont exprimées contre les pratiques indécentes de Colruyt. En scandant “patates partout, Colruyt nulle part!”, ils et elles ont dénoncé le rachat des terres agricoles par Colruyt, qui fait augmenter le prix des baux de ferme, restreignant encore plus un accès à la terre déjà très difficile pour les agriculteur·rice·s (et surtout pour les jeunes qui cherchent à s’installer).De plus, Colruyt ne se contente pas d’accaparer les terres agricoles, le groupe impose également ses conditions aux agriculteur·rice·s, en leur dictant quelles variétés cultiver par exemple. Avec ces pratiques, Colruyt tente de détruire l’autonomie des paysan·ne·s et faire basculer la paysannerie dans le salariat de la production agro-alimentaire industrielle.

Pour protester contre cette marchandisation et cet accaparement des terres qui menace le travail déjà précaire et menacé des paysan·ne·s en Belgique, les manifestant·e·s présentes ont déversé un camion de terre devant le siège de Colruyt, suivie par des prises de parole et une marche à travers les bâtiments du groupe. Devant un magasin Colruyt, nous avons distribué des tracts aux client·e·s du supermarché afin de les informer sur l’action. Des militant·e·s ont accroché une grande banderole “Prix cassés, agriculture brisée” sur un des bâtiments du supermarché. En fin de cortège, nous avons symboliquement planté des patates sur la propriété du groupe, pour rappeler à Colruyt que les paysan·ne·s ne se laisseront pas faire.

Si cette action visait Colruyt, le Resap dénonce les manœuvres de la grande distribution en général, cherchant à prendre un contrôle plus important sur les différents maillons de la chaîne de production et sur leur coût. En s’accaparant les terres des paysan·ne·s, les groupes de distribution et d’agroalimentaire contrôlent de plus en plus l’ensemble des systèmes alimentaires, y imposant leur logique industrielle et capitaliste au mépris de la souveraineté alimentaire des populations.

Bilan et perspectives

Cette journée d’action a été sans aucun doute un beau succès en termes du nombre de personnes présentes, d’autant plus que la manifestation avait lieu en dehors de Bruxelles en semaine. D’un point de vue organisationnel, le Resap a fait un très beau travail de coordination des différentes organisations paysannes et de soutien. Un point fort à souligner était le bilinguisme de cette journée, avec un effort manifeste qui a été déployé pour que tout soit accessible aux francophones comme aux néerlandophones. Le cortège était très dynamique et joyeux, avec brouettes, tracteurs et chants dans les deux langues. Les actions déployées (déverser de la terre, accrocher une banderole sur un des bâtiments du supermarché, etc.) avaient une forte portée symbolique et médiatique, et permettent également d’interpeller l’attention des passant·e·s alentour.

Les paysan·ne·s et manifestant·e·s présent·es se situaient également dans une perspective clairement anticapitaliste, en rappelant le rôle de l’agro-business dans la crise agricole que nous vivons aujourd’hui et en demandant un changement de paradigme radical vers l’agroécologie paysanne. Néanmoins, malgré une énergie bien présente, le rapport de force avec la direction de Colruyt reste très largement en notre défaveur. Décimée par plus de 60 ans de politiques libérales favorisant les grandes exploitations industrielles, la paysannerie européenne et belge représente à présent une fraction minime de la population et peine en conséquence à faire pression par la mobilisation de masse. Les alliances avec le salariat et les autres syndicats sont par ailleurs presque inexistantes, tandis que ce sont plutôt les ONG environnementales qui s’organisent autour du mouvement paysan.

Toutefois, cette paysannerie qui continue à se battre pour des systèmes alimentaires durables, locaux, sains et des prix justes doit être soutenue car elle constitue aujourd’hui une des forces les plus vives de résistance à la destruction capitaliste, tant au niveau européen qu’international avec l’organisation de millions de paysan·ne·s au sein de la Via Campesina. Ce vendredi 15 avril, un des paysans présents à Halle a rappelé dans son discours le potentiel révolutionnaire de la paysannerie. Les systèmes alimentaires sont à la base de toute organisation sociale, et il est absolument crucial que celleux qui croient en une alternative écosocialiste et anticapitaliste investissent cette question, soutiennent les luttes paysannes et travaillent ensemble à développer des alternatives agricoles et alimentaires au système agro-industriel qui soient accessibles, saines et abordables pour tou·te·s.