« Par pitié, arrêtez de parler à tort et à travers de la Brigade Azov », s’exaspérait la gauche d’Europe de l’Est il y a quelques semaines. Et il est vrai que la Brigade Azov, une unité militaire ukrainienne d’extrême droite, focalisait l’attention, notamment parce que le gouvernement russe aime citer ce groupe comme preuve qu’un régime nazi est au pouvoir en Ukraine. « L’importance qu’on lui attribue est disproportionnée et détourne l’attention de la cause réelle de la guerre actuelle, l’impérialisme russe », expliquait-elle.

Cependant, alors que l’attraction pour ce régiment perdure, il convient d’analyser aussi le « Mouvement Azov », composé de dangereux fascistes qui doivent être dénoncés et combattus.

Puisqu’une discussion basée sur les faits est le meilleur remède contre les mythes répandus à la fois par Azov et Moscou penchons-nous sur ce récent ouvrage « From the Fires of War : Ukraine’s Azov Movement and the Global Far Right »(1)Michael Colborne, « From the Fires of War : Ukraine’s Azov Movement and the Global Far Right » 179 pages, Ibidem Verlag. du journaliste Michael Colborne, car il offre un bon point de départ. Colborne suit l’extrême droite en Ukraine depuis plusieurs années et, dans ce livre, il donne un aperçu concis de la montée, de la structure, de l’idéologie et de la taille du mouvement. Ajoutons que cet auteur peut difficilement être accusé de faire l’apologie de Poutine ; il a déjà été impliqué dans le réseau de journalisme d’investigation citoyen Bellingcat. Et Bellingcat, après s’être attiré les foudres des régimes de Poutine et d’Assad, depuis ses rapports critiques sur le mouvement Azov, s’attire également celles de l’extrême droite en Ukraine ; il y a des ennemis dont on peut être fier !

« From the Fires of War » est avant tout un récit factuel. Le premier chapitre traite des origines de ce que Colborne appelle « le mouvement Azov ». Car outre l’unité militaire bien connue, c’est tout un réseau d’organisations politiques et culturelles qui a été mis en place par des militants d’extrême droite au fil des ans pour diffuser la même idéologie et renforcer son influence et son pouvoir.

L’unité militaire fut initialement créée lors de la précédente invasion russe en 2014. Contrairement à l’invasion de 2022, à cette époque l’armée ukrainienne a été défaite en peu de temps par l’invasion russe. Les civils ukrainiens avaient alors formé des unités de volontaires qui, toutefois, n’ont pas fait le poids face à l’armée russe et ont souvent subi de lourdes pertes. Ce qui s’appelait alors « le bataillon Azov » a été créé par des militants d’extrême droite, dont certains avaient déjà une expérience de la guerre. Le bataillon Azov comptait également des membres non ukrainiens, notamment des fascistes qui avaient précédemment combattu du côté croate pendant la guerre en ex-Yougoslavie. Ironiquement, la plupart des étrangers étaient d’origine russe ; il s’agissait pour la plupart de militants fascistes recherchés en Russie pour violence. L’expérience de la violence devient désormais utile et, d’une cinquantaine de membres, Azov passe à environ 800 fin 2014, lorsqu’il a officiellement fait partie de la Garde nationale ukrainienne. Depuis lors, le mouvement s’est largement appuyé sur le crédit acquis grâce à ses faits d’armes lors de sa participation à la guerre.

Cependant, l’idéologie spécifique que le mouvement propage et dont il se revendique remonte à plus loin, aux années 1920 et 1930. Pour comprendre cette idéologie et le mouvement qu’elle a motivé, l’explication du contexte historique est nécessaire.

Retour sur une Histoire mouvementée

Entre 1917 et 1921, les nationalistes ukrainiens ont tenté de lutter pour leur propre État, tout à la fois contre l’ennemi allemand, polonais, austro-hongrois et bolchevique ! Finalement, les nationalistes ukrainiens ont été vaincus et une partie de ce qu’est aujourd’hui l’Ukraine est devenue un territoire polonais alors que la plus grande partie du territoire a fait partie de l’Union soviétique sous le nom de République socialiste soviétique d’Ukraine. Deux régions plus petites dans lesquelles les Ukrainiens étaient majoritaires ont été intégrées à la Roumanie et à la Tchécoslovaquie. En Pologne et en Roumanie, les Ukrainiens ont rapidement été victimes d’une politique d’assimilation forcée.

Dans les années 1920, en revanche, la République Soviétique d’Ukraine disposait d’un certain degré d’autonomie au sein duquel la langue et la culture ukrainiennes pouvaient s’épanouir. Bien que l’autonomie politique ait été limitée (une véritable sécession de l’Union soviétique était impossible), de nombreux Ukrainiens d’autres États ont observé avec admiration le renouveau de la langue et de la culture ukrainiennes dans la République soviétique. Avant 1917, il n’y avait pratiquement aucune éducation en ukrainien, mais au début des années 1930, 97 % des Ukrainiens d’Union soviétique étaient éduqués dans leur propre langue.

Une écrasante responsabilité stalinienne…

Cependant, l’atmosphère relativement ouverte de la République soviétique d’Ukraine ne devait pas durer. En 1932, Staline ordonnait la destruction du « nationalisme bourgeois ukrainien ». Le dissident ukrainien Ivan Dzyuba écrivait en 1968 que cela revenait à « détruire toutes les formes de nationalité, de vie nationale et de culture ukrainiennes, et à liquider les cadres éducatifs et scientifiques ». Des milliers d’Ukrainiens ont été tués avant même que les purges sanglantes n’éclatent dans le reste de l’Union soviétique. À la même époque, la politique de collectivisation forcée de l’agriculture a commencé. Pour briser la résistance, les autorités soviétiques ont déporté environ 850 000 paysans et leurs familles, « souvent dans des endroits reculés de l’est et du nord de l’Union soviétique et dans des conditions si misérables que beaucoup n’ont pas survécu », écrit Marc Jansen dans « Grensland. Une histoire de l’Ukraine ».

En 1932, en grande partie à cause de la collectivisation forcée, une famine a éclaté, dont l’Ukraine se souvient encore aujourd’hui (sous le nom d’Holodomor) comme d’un traumatisme national et qui, à ce titre, joue un rôle majeur dans la révulsion contre le passé soviétique. Afin de maintenir l’exportation de céréales, des quantités excessives ont été confisquées, provoquant la mort de faim en masse des paysans et de leurs familles.

Non seulement les demandes d’aide ont été rejetées par Staline, mais la politique soviétique a aggravé le désastre. Ainsi, Timothy Snyder dans « Bloodlands. L’Europe entre Hitler et Staline » décrit comment, à la fin de 1932, les autorités soviétiques ont établi une liste noire des fermes collectives qui n’avaient pas respecté leurs quotas de céréales. En guise de punition, ils ont dû remettre immédiatement une grande quantité de céréales. Bien sûr, ils n’ont pas pu le faire, ce qui signifie que toute la nourriture a été confisquée. En outre, les villages figurant sur cette liste noire n’étaient pas autorisés à faire du commerce ou à recevoir des fournitures d’ailleurs. Sans nourriture, coupés du reste du pays, les gens étaient donc condamnés à mourir de faim. Les estimations du nombre de victimes de la famine varient de 2,5 à 4 millions.

Dans les années 1920, de nombreux Ukrainiens considéraient encore l’Union soviétique avec sympathie et le parti communiste clandestin d’Ukraine occidentale (CPWO) bénéficie d’un soutien important dans la zone contrôlée par la Pologne. La famine et la répression y mettront fin et, en 1938, le CPWO est dissous sur ordre de Staline. En 1925, le Parti Communiste Ukrainien (Ukrainska Komunistychna Partiia, également appelé Ukapisty), un parti pro-soviétique et favorable à l’autodétermination de l’Ukraine, avait déjà été dissous.

qui permet la montée en puissance de la droite ukrainienne

Ce sont les mouvements de droite ont bénéficié de cette évolution. Dès 1920, les nationalistes ukrainiens de droite avaient créé une organisation armée clandestine qui menait des attaques contre des cibles polonaises, soviétiques, tchécoslovaques et roumaines. En 1929, ce groupe, avec d’autres nationalistes, dont l’Union des fascistes ukrainiens, a fondé l’Organisation des Nationalistes Ukrainiens (OON).

L’OON avait une idéologie fasciste classique, comme on peut le voir, par exemple, dans les travaux de l’idéologue de l’OON, Mykola Stsiborskyi, « Nation ». Sous ce titre, Stsiborskyi décrit l’objectif de l’OON comme une « dictature nationale, anti-démocratique, anti-socialiste et hiérarchique ». S’inscrivant pleinement dans la tradition fasciste, Stsiborskyi glorifie le fanatisme irrationnel, la violence et la guerre. Selon Stsiborskyi, une nation vivante est une nation agressive et guerrière. En 2020, l’ouvrage a été réédité dans une traduction allemande, avec une préface de l’idéologue et dirigeant d’Azov Mykola Kravchenko. Kravchenko, qui est mort le 14 mars dans la bataille de Kiev, revendique dans sa préface les idées de Stsiborskyi comme base du développement du « mouvement nationaliste contemporain » en Ukraine.

L’OON est tristement célèbre pour sa collaboration avec l’Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale. Le mouvement espère que l’Allemagne nazie vaincra la Pologne et l’Union soviétique et permettra la création d’un État ukrainien. En juin 1941, le courant de l’OON dirigé par Stepan Bandera proclame un État ukrainien allié de l’Allemagne nazie. En effet, des mouvements fascistes locaux dirigent des États satellites en Croatie et en Slovaquie sous protection allemande. Cependant, un État ukrainien n’entre pas dans les plans des nazis. Les nazis prévoient d’exterminer la majeure partie de la population de cette partie de l’Europe et de contraindre les survivants à l’esclavage au service des futurs colons allemands. Stepan Bandera et d’autres dirigeants de l’OON ont été arrêtés par les nazis, mais ont bénéficié de privilèges spéciaux en tant que « Ehrenhäftlinge ». Les membres de l’OON et la branche armée du mouvement, l’Armée des partisans ukrainiens (OPL), en collaboration avec des unités allemandes ou de manière indépendante, ont commis des meurtres à grande échelle et expulsé les soi-disant ennemis de la nation ukrainienne tels que les Juifs et les Polonais. Dans les premières semaines de la guerre, des dizaines de milliers de personnes ont été tuées dans ces pogroms.

Dans la phase finale de la guerre, l’OON, réalisant que l’Allemagne nazie serait vaincue et qu’elle avait besoin de nouveaux alliés, a utilisé une rhétorique plus modérée. Selon les historiens, ce tournant « démocratique » était en grande partie une imposture. Lorsque le vent tourne en défaveur des nazis, les dirigeants de l’OON, dont Stepan Bandera, sont libérés pour leur permettre de créer un nouveau mouvement nationaliste en tant qu’allié de l’Allemagne nazie. Les unités de l’OPL, cependant, ont combattu non seulement contre les troupes soviétiques mais aussi contre les troupes allemandes durant cette période. Pendant ce temps, les violences contre les civils se sont poursuivies. En 1943-1944, l’OON et l’OPL ont tué des milliers de Juifs et plus de 90 000 Polonais lors du « nettoyage ethnique » des territoires ukrainiens.

L’OON et l’OPL prétendaient agir au nom du peuple ukrainien, tout comme le fait aujourd’hui le mouvement Azov mais en réalité, l’attitude de la plupart des Ukrainiens à l’égard des troupes allemandes s’apparente plutôt à de l’attentisme. Un petit mouvement minoritaire de l’OON avait même rompu avec Bandera en raison de son soutien à l’Allemagne nazie et s’est déplacé vers la gauche. Pendant la guerre, plusieurs centaines de milliers d’Ukrainiens ont été engagés dans l’OON et l’OPL. En revanche, on estime que quelque 4,5 millions d’Ukrainiens ont combattu dans l’Armée rouge. Symboliquement, une unité de l’Armée rouge qui a libéré le camp de la mort d’Auschwitz était dirigée par un juif Ukrainien, Anatoly Shapiro.

Guerre de 2014 et montée en puissance du mouvement

La propagande russe exagère grossièrement l’influence et le suivi de mouvements tels qu’Azov. L’aile électorale du mouvement Azov, le Corps national, est, selon les mots de Colborne, « un flop ». Une alliance de ce parti avec d’autres partis de droite comme Pravyï Sector (Secteur droit) et Svoboda (Union panukrainienne Liberté) a remporté un peu plus de deux pour cent des voix aux élections législatives de 2019, bien en dessous du seuil électoral de cinq pour cent. Cette année-là, le chef du parti, Andriy Biletsky, a décidé de ne pas participer aux élections présidentielles, les sondages ayant montré qu’il pouvait compter sur 0,2 % des voix. Lors de ces élections, le candidat d’extrême droite Ruslan Koshulynskyi (Svoboda) a obtenu 1,6 % des voix.

Néanmoins, le mouvement parvient à exercer une influence et ce serait une erreur de l’écarter sur la base des seuls résultats électoraux. Par exemple, Colborne souligne le rôle des groupes d’extrême droite dans les manifestations de Maidan en 2014. Pendant ces manifestations, le groupuscule prédécesseur d’Azov faisait partie du Secteur droit, une organisation comptant de trois à cinq cents membres, selon M. Colborne. Parce que l’extrême droite était littéralement en première ligne des affrontements avec la police, elle a acquis un prestige et une influence disproportionnés. Paradoxalement, c’est aussi après Maidan que les résultats électoraux d’un parti d’extrême droite comme Svoboda ont commencé à baisser. Après Maidan, Svodoba a tenté en vain de combiner son noyau fasciste et antisémite avec une façade plus respectable alors que Secteur Droit, jouant l’approche opposée, restait perdant dans une confrontation avec le nouveau gouvernement et perdait également le soutien des militants. Une partie de ces défections est allée au mouvement Azov, qui a commencé à se développer après la guerre en 2014 avec des initiatives telles qu’une organisation de jeunesse, une maison d’édition, des réunions publiques régulières, des salles de sport et une branche politique.

Colborne attribue une grande partie du succès relatif du mouvement Azov à cette stratégie. Bien que le mouvement aime se présenter comme radical, il ne s’est pas directement confronté à l’État. Inspiré par des fascistes français tels que Dominique Venner et Guillaume Faye, le mouvement Azov vise à construire un réseau d’organisations pour gagner une implantation sociale et culturelle. Le mouvement Azov construit ainsi ce que l’idéologue Olena Semenyaka appelle un « État dans l’État ». Ce n’est pas une coïncidence si, aux Pays-Bas, Thierry Baudet a fait l’éloge du travail de Venner et Faye, et les tentatives du FvD de construire sa propre version peuvent être considérées comme une traduction néerlandaise de cette stratégie.

Construire un tel mouvement coûte beaucoup d’argent. Colborne décrit comment le mouvement Azov collecte des fonds dans la diaspora ukrainienne et fonctionne aussi régulièrement comme un gang pour les entrepreneurs véreux. Une bonne part de l’explication de la croissance du mouvement réside également dans ses liens avec certaines parties de l’appareil d’État : le siège du mouvement, un bâtiment de trois étages, lui a été attribué par le gouvernement. Pendant des années, l’homme politique et entrepreneur Arsen Avakov a été un important mécène du mouvement. Avakov a fait fortune pendant les privatisations chaotiques des années 1990. Au début des années 2000, il s’est lancé dans la politique et aurait entretenu des liens avec un précurseur du mouvement Azov qui lui servait de gang. Avakov a été accusé à plusieurs reprises d’escroquerie et de fraude et a été recherché par Interpol en 2012. Grâce à son statut de parlementaire, il a pu échapper aux poursuites. En 2014, il est devenu ministre de l’Intérieur, un poste puissant d’où il pouvait protéger les militants d’Azov. En juillet 2021, il a démissionné de manière inattendue et, bien que le mouvement Azov ne dépende pas d’un seul individu, les militants fascistes semblent avoir bénéficié d’un peu moins de protection depuis lors.

Comme l’indique le sous-titre du livre, le mouvement Azov a également des ambitions internationales. Pendant un certain temps, le mouvement s’est présenté comme un point de référence international pour les fascistes. Par exemple, pendant la guerre de 2014, le mouvement a attiré des fascistes militants de l’étranger. Colborne cite un rapport américain de 2019 qui affirme que quelque 17 000 étrangers ont pris part aux combats en Ukraine depuis 2014. Plus de 13 000 d’entre eux ont combattu dans le camp pro-russe, souvent recrutés par des organisations d’extrême droite telles que le « Mouvement de libération nationale » du parlementaire Russie unie, Evgueni Fiodorov, et le Mouvement impérial russe de Stanislav Vorobyev. On estime qu’une centaine de fascistes étrangers ont combattu avec Azov.

Le poids du passé

Le fait qu’un mouvement qui se place dans la tradition d’OON puisse connaître un succès relatif a beaucoup à voir avec l’histoire tumultueuse de l’Ukraine, pays frontalier entre l’Allemagne hitlérienne et l’Union soviétique stalinienne. Les symboles communistes, par exemple, sont ceux des troupes qui ont vaincu l’Allemagne nazie, mais qui ont également semé la terreur pendant des années dans ce qui est aujourd’hui l’Ukraine. En Occident, la loi dite de « décommunisation » de 2015 a suscité beaucoup d’attention. Cette loi interdisait les symboles tels que le marteau et la faucille et l’étoile rouge, et sur la base de cette loi, le parti communiste d’Ukraine a été interdit. La loi interdit également l’utilisation de symboles nazis tels que la croix gammée, mais étant donné l’utilisation fréquente et manifeste du « soleil noir » nazi par le mouvement Azov, entre autres, cette interdiction n’est pas très cohérente.

En particulier depuis le début du siècle, des réhabilitations édulcorées de l’OON et de leaders comme Stepan Bandera sont justifiées comme « points de référence alternatifs pour une version antisoviétique de l’histoire nationale ». Ses leaders et idéologues y sont dépeints comme des patriotes ukrainiens qui se seraient opposés à des régimes « totalitaires » tels que l’Allemagne nazie et l’Union soviétique. Mais si la réhabilitation de l’OON repose en partie sur la dissimulation de son caractère antisémite et fasciste, elle offre en même temps un espace aux forces qui sont bien conscientes de cet aspect de l’histoire. Ainsi des idéologues tels que Semenyaka et Kravchenko font l’éloge des fascistes (d’avant-guerre et contemporains) et appellent à la démolition de la démocratie pour leur propre public. Lorsque l’historien Grzegorz Rossoliński-Liebe, auteur d’une biographie critique de Stepan Bandera, devait donner des conférences en Ukraine sur son travail, la plupart d’entre elles ont été empêchées par des militants d’Azov qui l’ont accusé d’être un « fasciste libéral ».

Et le travail orienté des historiens soviétiques ne constitue évidemment pas un contrepoids efficace à la falsification nationaliste de l’histoire. Ces travaux perpétuent d’autres mythes, tels que ceux concernant les bienfaits de l’Union soviétique, et qualifient de « fasciste » toute volonté d’autodétermination de l’Ukraine. Nous en entendons les échos dans les discours de Poutine sur la nécessité de « dénazifier » l’Ukraine actuelle.

Dans un article récent, l’activiste ukrainien de gauche Sergiy Movchan a mis en garde contre le fait d’écarter l’extrême droite uniquement sur la base de ses mauvais résultats électoraux ; Ce qui donne du pouvoir à l’extrême droite et lui permet d’influencer les politiques publiques (parfois même plus efficacement que les groupes parlementaires) sans être représentée au parlement, c’est son intégration dans la fonction publique et les services militaires et de maintien de l’ordre, son accès aux armes, son infrastructure construite au fil des ans, son accès aux ressources financières (y compris sur les budgets des États et des villes), sa domination totale de la rue et l’hégémonie d’un discours nationaliste qui légitime ses actions violentes. Les militants de gauche rapportent que leurs réunions sont attaquées par des militants d’extrême droite sous l’œil bienveillant, voire la coopération, de la police.

Colborne souligne que sans la guerre de 2014, le mouvement Azov n’aurait jamais pu devenir la force qu’il est aujourd’hui. Il est trop tôt pour dire quel sera le résultat de la guerre actuelle sur le développement de l’extrême droite. Contrairement à 2014, le rôle de l’extrême droite dans la défense contre l’armée russe est désormais relativement plus faible. Le sentiment nationaliste et anti-russe était en hausse avant même l’invasion russe, mais il menace aujourd’hui de s’intensifier encore. Dans une déclaration sur l’interdiction récente d’une série de partis « pro-russes », l’organisation socialiste ukrainienne Sotsyalnyi Rukh (SR, Mouvement social) a mis en garde contre les tentatives du gouvernement d’ « abuser de la situation de guerre pour attaquer les droits des travailleurs ukrainiens » et de restreindre les libertés politiques et civiles.

Les groupes de gauche radicale comme SR jouent un rôle actif dans la défense de l’Ukraine. Cette lutte pour une Ukraine indépendante, dont l’avenir ne peut être déterminé que par les Ukrainiens, est inextricablement liée à la lutte contre l’extrême droite, contre le fascisme et l’antisémitisme. Ce combat mérite une solidarité internationale. Cette solidarité peut s’exprimer politiquement en soutenant l’appel à l’annulation de la dette ukrainienne, en diffusant les déclarations et analyses de la gauche ukrainienne, et pratiquement, par des initiatives de solidarité telles que operation-solidarity.org. Une Ukraine libre et indépendante est une première étape nécessaire pour vaincre le fascisme.

Article traduit et adapté par Hamel Puissant et François Houart.

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