Le 25 juillet, le président tunisien Kaïs Saïed renvoyait le gouvernement et suspendait le Parlement, s’arrogeant des pouvoirs exceptionnels. Ces mesures remettent en cause le cadre et les droits démocratiques obtenus par la chute du dictateur Ben Ali en 2011.
Le chef d’État tunisien a formalisé le 22 septembre son coup d’État institutionnel en promulguant des dispositions exceptionnelles renforçant ses pouvoirs au détriment du gouvernement et du Parlement, auxquels il va de facto se substituer en légiférant par décrets. Quelques jours plus tard, pour former un nouveau gouvernement, il nommait comme Première ministre Najla Bouden, première femme dans l’histoire du pays à accéder à ce poste, dont il a néanmoins considérablement réduit les prérogatives.
Cadre démocratique en danger
Mais depuis son coup d’État institutionnel, Kaïs Saïed a ciblé plusieurs personnalités par des dizaines d’arrestations, d’assignations à résidence et d’interdictions de voyager arbitraires, dans le cadre de sa « croisade anticorruption ». Cela n’a pas empêché le président de maintenir des relations proches avec l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA, une association patronale), qui constitue pour beaucoup de militantEs une des sources principales de la corruption.
À la mi-septembre, le secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), Noureddine Taboubi, a mis en garde pour la première fois le président en déclarant : « Si vous essayez de vous écarter de la voie de l’État civil et démocratique, alors le syndicat est là, prêt et rompu aux combats. » Le syndicaliste a en outre dénoncé son « accaparement du pouvoir ».
Aucune amélioration des conditions de vie
Le coup de force du président Kaïs Saïed a reçu initialement un soutien populaire assez significatif, à cause des frustrations accumulées par de larges secteurs des classes populaires devant l’accroissement des inégalités sociales, de la pauvreté, du chômage et l’incurie des partis au pouvoir, sur fond de flambée de l’épidémie de Covid-19. Avec près de 24 500 décès, la Tunisie a enregistré le nombre de mortEs par habitantEs le plus élevé des régions arabe et africaine. Le pays a du reste comptabilisé 7 773 protestations sociales au cours des six premiers mois de 2021, contre 4 566 pour la même période en 2020, selon de récentes statistiques publiées par l’ONG Front tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES).
Le mouvement d’inspiration fondamentaliste islamique Ennahdha, au pouvoir depuis 10 ans à travers diverses coalitions gouvernementales, a été en particulier la cible des manifestantEs qui sont descendus dans la rue pour soutenir les mesures du président tunisien. Ennahdha a encouragé des politiques néolibérales, des mesures de privatisations et d’austérité, appauvrissant encore plus les classes populaires. Les gouvernements tunisiens successifs se sont endettés toujours davantage envers les créanciers étrangers.
De même, le bilan de ce mouvement quant aux questions démocratiques est loin d’être positif, avec des mesures de répression importantes contre les mouvements sociaux et son opposition à l’égalité hommes-femmes.
Kaïs Saïed, une alternative ?
La responsabilité d’Ennahdha et d’autres partis au pouvoir depuis 2011 est claire dans la crise socio-économique et politique du pays. Cela dit, Kaïs Saïed ne constitue en aucun cas une alternative progressiste, bien au contraire. Comme l’a déclaré Hamma Hammami, le secrétaire général du Parti des travailleurs tunisiens, « la guerre entre Saïed et les partis politiques n’est pas une guerre sur des approches différentes des problèmes économiques de la Tunisie, mais sur le pouvoir ». De même, Saïed est profondément conservateur, opposé à l’égalité entre les hommes et les femmes en matière d’héritage, à la dépénalisation de l’homosexualité et à l’abolition de la peine de mort. Finalement, ses actions constituent un pas en arrière dans la défense des droits démocratiques des classes populaires.
Il faut s’opposer à la dérive autoritaire du président Saïed, tout en soutenant les alternatives progressistes et démocratiques qui se confrontent à Ennahdha et aux autres partis au pouvoir, pour empêcher le retour à un statu quo insupportable pour les classes populaires tunisiennes.
Article publié dans le n° 395 de solidaritéS (Suisse)