Nous avons fait jeudi 5 octobre un point avec notre camarade Andreu Coll sur l’évolution de la situation en Catalogne, depuis la grève générale de mardi dernier. Depuis s’est ajoutée l’annonce par la Cour constitutionnelle de l’interdiction de la session parlementaire prévue lundi, menaçant au passage la présidente du Parlement, Carme Forcadell, et les membres du bureau des présidents de l’Assemblée, de risques pénaux.
Comment analyses-tu les interventions du roi et du président de la Generalitat ?
Le roi soutient la politique répressive du gouvernement, il ne joue pas un rôle bonapartiste d’essayer d’arbitrer la confrontation, il nie le conflit politique et le réduit à une question d’ordre public, disant que le gouvernement catalan est devenu fou, criminel. Il soutient la légitimité de la force de l’Etat et n’a fait aucune référence aux blessés, à la répression.
Puidgemont lui a répondu d’une façon qui donne l’impression qu’il veut réduire la dynamique de la confrontation, disant qu’il n’y a qu’un seul peuple, que nous sommes pacifiques. C’était un thème clé de son intervention. Il s’est adressé aux citoyens en espagnol, changeant de langue au milieu de son discours, remerciant de la solidarité qui a pu exister avec la lutte des catalans, et disant que nous respectons toute la population d’Espagne, et disant que les médias espagnols devraient expliquer de façon plus nuancée ce qui se passe en Catalogne.
Il a dit que dit que nous voulons « contribuer à l’Etat espagnol ». Il va probablement faire une déclaration la plus molle possible lundi prochain, repoussant l’indépendance, avec une formule du type « la république en catalogne va arriver ». C’est une démarche conciliatrice, tout en cherchant des médiateurs nationaux ou internationaux. Il cherche à modérer la dynamique actuelle.
Comment s’est passée la grève générale ?
Mardi, la grève était en réalité un mélange de grève, de lock-out et de mobilisations. C’était interclassiste, très faible dans l’industrie, notamment car les commissions ouvrières et l’UGT se sont retirées de la grève. La Generalitat et l’ANC ont parlé d’une « aturada », d’un arrêt du pays, pour éviter le terme « grève générale ».
Dans les quartiers, en revanche, c’était fantastique. Le rôle de la jeunesse était très visible. La mobilisation était très active. Il y a eu des « escraches » contre le PP, contre la police nationale, des mobilisations syndicales et dans les entreprises. Des routes et autoroutes ont été coupées, il y a des assemblées dans les villages, une dynamique d’auto-organisation très intéressante. Beaucoup de personnes participaient pour la première fois à une mobilisation collective. Les Comités de défense du référendum se sont transformés en Comité de défense de la République, avec une organisation de type soviétique, avec un début de coordination.
Quelle est l’attitude de la police et de l’armée ?
Deux unités de l’armée se sont déplacées, mais ce sont pour l’instant des unités de logistique. Dimanche, beaucoup de monde s’est rassemblé face aux hôtels où sont logés les policiers et les membres de la Guardia Civil venus d’ailleurs. Des flics en civil ont tabassé des citoyens qui protestaient contre eux dans un village au nord de Barcelone, cela a déclenché plusieurs manifestations devant les hôtels, au point que certains hôtels ont viré les flics. Le ministre de l’intérieur a dû interdire aux hôtels de rompre leurs contrats…
Sant Boi, vila de pau. Marxa silenciosa fins la caserna militar. Fora les forces d’ocupació #Catalunya pic.twitter.com/9JqAH5YMQE
— Anticapitalistes (@anticapiCat) 5 octobre 2017
Mardi, il n’y a pas eu vraiment de répression. Il y a eu de la provocation de la part de l’équivalent des BAC. Les anarchistes n’ont pas provoqué non plus, et les pompiers ont joué un rôle exceptionnel, en prenant l’initiative de créer des services d’ordre très appréciés de la population.
Mateix règim, mateixa repressió #CatAmbMurcia Ds 7O 19h Pça Universitat pic.twitter.com/uDUejkYvlg
— Anticapitalistes (@anticapiCat) 6 octobre 2017
Quelle est l’attitude des banques et des grandes sociétés ?
La haute bourgeoisie catalane a fait une déclaration demandant une issue politique, car la bourse a perdu 3 points, et les banques 5%. Cela commence à créer des tensions économiques et la notation de l’Espagne a augmenté, ce qui fait monter les intérêts de la dette publique, qui est à hauteur de 100% du PIB en Espagne. Cela pose un sérieux problème au gouvernement central.
Plusieurs entreprises ont commencé à réfléchir à des plans en cas d’indépendance, notamment en déplaçant les sièges des sociétés à Madrid. Plusieurs banques, même la Caixa, historiquement la principale caisse d’épargne de Catalogne, qui est aussi la troisième banque d’Espagne, ont décidé d’aller à Madrid. Le deuxième groupe financier catalan, la Banque de Sabadell, fait la même chose. Des sociétés étrangères basées en Catalogne ont la même réflexion.
Cela met une grosse pression sur Puidgemont, qui fera une déclaration la plus molle possible… car il a peur que la Guardia Civil arrête tous ceux qui vont voter avec lui !
Où en est la mobilisation sociale ?
Dans les syndicats et chez les salariés, la mobilisation reste faible, seule une petite avant-garde est mobilisée : les pompiers, les dockers et la CNT, qui est pourtant traditionnellement antinationaliste. La classe ouvrière, ici, a une part très importante d’immigrés andalous ou galiciens, avec des liens sentimentaux plus fort avec l’idée de l’Espagne. Il est possible de devenir indépendantiste mais traditionnellement le mouvement ouvrier a défendu l’autonomie, jamais l’indépendance.
Il est catastrophique que les commissions ouvrières n’aient pas appelé à la grève générale, et c’est sans doute dû à des pressions de la direction centrale à Madrid, car ils y ont adhéré pendant trois ou quatre heures avant d’abandonner. Beaucoup de monde conteste cette décision mais cela reste minoritaire, quoique cela puisse changer très vite en cas de répression.
Mardi, il y a eu un rassemblement énorme Place de l’Université, avec au moins 150 000 personnes, qui a été convoqué par le Comité de défense étudiant. Les jeunes étaient présents, avec des drapeaux espagnols officiels, monarchiques, d’autres avec des drapeaux espagnols républicains et beaucoup de drapeaux indépendantistes, ceux avec l’étoile. Tout le monde manifestait, dans un esprit très fraternel. Beaucoup de monde disait son opposition au « coup d’État de Puidgemont » (c’est de cette façon que le référendum est présenté par les médias dominants à Madrid), mais que la répression policière est intolérable. Cela montre que la dynamique d’une certaine fusion entre le processus indépendantiste, les revendications sociales et le 15M, les indignés, commence à arriver sous l’influence de la répression.
Dans les manifestations, les slogans sont opposés au PP, à la répression, et favorable à la République. Les revendications sociales se développent mais sont minoritaires, certains même parle de Révolution catalane. La composition sociale du mouvement a changé très rapidement, elle s’est fortement élargie et ceux qui ont déclenché la dynamique indépendantiste essaient maintenant de freiner, y compris l’ANC, Omnium, etc. Le jour de la grève générale, Omnium et l’ANC avaient appelé à occuper les place, avec des tentes, etc. mais, avec l’excuse de la menace de l’extrême droite, ils ont annulé cet appel. Maintenant, les Comités de défense ont commencé à prendre le relais et la composition sociale est tout à fait différente.
Quels sont les liens du mouvement avec le reste de l’Etat ?
Dans le reste de l’Etat, il y a de la solidarité, des initiatives, des rassemblements, etc. Cela reste minoritaire mais la réaction contre le discours du roi a été très forte, y compris par la partie la plus modérée de Podemos, qui dénonçait l’archaïsme du roi, le présentait comme une honte et revendiquait la République. Il y a eu de l’indignation, mais aussi de la surprise, notamment dans le PSOE, car certains pensaient que le roi jouerait un rôle de médiateur. Le destin du roi est maintenant intimement lié à la stratégie du PP.
Un exemple pour renforcer les liens entre la Catalogne et le reste de l’État est l’initiative d’un appel à rassemblement en solidarité avec Murcia : entre Valence et l’Andalousie, il y a en effet la construction d’un TGV pour aller à la capitale et ils ont décidé de couper un quartier populaire de 100 000 habitants du reste de la ville… avec un mur. Il y a eu il y a trois semaines une grande mobilisation populaire et les flics sont intervenus de façon très violente. Donc Anticapitalistes a décidé d’appeler avec d’autres syndicats et mouvements sociaux à manifester samedi soir. C’est un appel du peuple de Catalogne contre la répression à Murcia et pour le droit de tout décider. Sur le plan symbolique, c’est important car cela crée des liens de solidarité : les catalans ne sont pas des égoïstes, ils soutiennent toutes les victimes de la répression de l’Etat. Nous voulons tout décider, pas seulement la couleur du drapeau !
Propos recueillis par Antoine Larrache pour le NPA