Le secteur de l’enseignement est un secteur qui a particulièrement subi la gestion cacophonique de la pandémie : directives/contre-directives, ouverture/fermeture, présentiel/visiocours, manque d’infrastructures sanitaires, pédagogiques…. 

La gestion désastreuse de la pandémie n’est pas due à l’erreur de tel.le ou tel.le ministre (même si certain.e.s ont des responsabilités particulières), mais a mis en lumière les contradictions fondamentales du système capitaliste et de leurs gouvernements : le bien-être, l’instruction et la culture sont incompatibles avec les lois du profit. La nécessité d’ouverture des écoles a plus été dépendante des difficultés pour la remise au travail des parents que du bien-être social et psychologique des enfants et des jeunes en général.

La gestion des secteurs essentiels en temps Covid n’est que la continuation des politiques menées depuis des années et que les enseignants ont toujours combattues.  Nous revenons ici sur 2 de leurs combats emblématiques : les grèves de 1990 et de 1996.

La grève de 1990

En 1988 est opérée la 3e réforme de l’Etat belge par le gouvernement PS-SPA-PSC(ancêtre du CDH)-CVP et VU. . Le PS a abandonné son slogan électoral « le retour du cœur » et adopte la rigueur budgétaire. Le fédéralisme adopté (qui n’a rien à voir avec le fédéralisme socialiste) sert surtout à régionaliser un Etat (déficitaire de 4 milliards) et à transférer les compétences (et la gestion) aux Communautés et Régions . EN 1989 l’enseignement est totalement communautarisé.

En 1990 la convention intersectorielle des services publics octroie 2% à tous les agent.e.s de la fonction publique.  La Communauté française déclare ne pouvoir financer ces 2% et propose tout d’abord de financer cela par des pertes d’emploi (ce qui est immédiatement rejeté), ensuite d’augmenter le minerval et de diminuer les subventions de fonctionnement des écoles, et de puiser dans d’autres budgets ex. celui de la formation professionnelle. 

Les enseignant.e.s sont déjà très mal loti.e.s : augmentation du nombre d’élèves par classe, surtout depuis les mesures dites « Val Duchesse » , nominations retardées (souvent  10 années complètes pour être nommé, voire plus), le déplacement entre 2 écoles pour avoir un temps plein n’est plus comptabilisé. Quant aux salaires, la dernière revalorisation date de 1973, et certains salaires dépassent à peine le montant de l’allocation de chômage. 

Bref les enseignant.e.s sont en ébullition. Les syndicats proposent 6 journées d’action (avril, mai et tous les mercredis de juin ) avec comme préalable aux négociations 3 revendications :

  • relèvement barémique substantiel (6% au lieu de 2%)
  • aucune atteinte aux subsides;
  • refus de la hausse du minerval étudiant..

Pour la première fois, les actions de grève regroupent tous les syndicats de l’enseignement (y compris du réseau libre qui a commencé à se radicaliser en 86 avec la lutte contre le Val Duchesse). Commencée pour 6 jours, elle va être exceptionnelle par sa durée (du printemps 1990 à la fin de l’année). Si le mouvement a pris une telle ampleur, c’est parce qu’il révèle un malaise profond, toutes les atteintes à la qualité de l’enseignement, à l’emploi, aux salaires « chiquées » dans les années 80 reviennent à la surface.

Le gouvernement va proposer un transfert financier aux Communautés et Régions de la taxe Radio-TV en 91 et 92, l’octroi de chèque-repas (ce qui ne compte ni pour la pension ni pour le chômage) et une compensation pour l’augmentation de minerval jusqu’en 93, augmentation des barèmes les plus faibles contre le financement de l’équipement pédagogique.

Le FEU (Front des Enseignant.e.s Uni.e.s)

Né d’une volonté de coordonner les actions et l’organisation collective des piquets y compris dans les écoles isolées, le Feu devient très vite un organe de préparation d’actions originales (au Manneken-Pis à Bruxelles le 21 juillet, calicots sur le toit de la cathédrale St Michel et Gudule à Bruxelles,…) et d’échanges d’expériences. Animé par beaucoup de délégué.e.s CSC et CGSP, le FEU réunira aussi les affilié.e.s et les non-syndiqué.e.s.

Au mois d’août, le FEU organise des Assises à Floreffe où passeront près de 1000 enseignants et où la place d’un enseignement démocratique, alternatives pédagogiques seront des thématiques  longuement discutées.

Des accords seront conclus avec le gouvernement en place (pour ne pas attendre les résultats des élections de 1991). En dehors de la revalorisation salariale et du maintien de la gratuité de la formation continue, les acquis sembleront faibles.

Mais par sa durée, l’expérience de l’auto-organisation jointe à l’action du Front Commun Syndical, leur caractère déterminé, les enseignants rentreront à l’école la tête haute et fiers de leur combat.

1996

En conformité avec les Accords de Maastricht sur la compétitivité et la flexibilité du travail, le gouvernement PS-CVP-ancêtre du CD&V, dirigé par Dehaene (surnommé le Bulldozer) établit le Plan Global. Ce projet compte s’attaquer aux salaires, au système de pension et au déficit budgétaire cad diminuer les dépenses de l’Etat. Ce dernier point, en convergence avec la Table Ronde des Industriels Européens (dirigée par le directeur de Fabrimétal) entreprend une réforme de l’enseignement axée sur les futurs besoins industriels. C’est la Ministre PS (Onkelinx) qui s’en chargera avec tout l’engouement qu’on lui connait quand il s’agit d’appliquer l’austérité (économiser 10 milliards et supprimer 10.000 emplois pour 1999).

Onkelinx va diminuer 500 emplois dans les petites écoles qui font un travail pédagogique individualisé et contre le décrochage scolaire. Elle va mettre en concurrence l’augmentation budgétaire de l’enseignement avec celui des autre services publics (dont la RTBF)

Dans l’enseignement, pour économiser 3000 emplois, fusion des écoles avec des mesures de fin de carrière différentes selon les  fonctions, nouvelles normes d’encadrement différenciées. Le secteur de l’enseignement libre organise lui-même ses fusions ce qui va diviser CSC et CGSP. Et surtout suppression de toutes une série d’options, renforcement des liens avec le privé pour ce qui concerne l’enseignement professionnel. Bref un enseignement de plus en plus élitiste, avec moins de profs pour plus d’élèves par classe et un choix d’options restreint dans l’enseignement secondaire…

La CGSP s’inscrit dans un cadre intersectoriel des services publics dont le but est de faire sauter ce carcan budgétaire. La manif du 13 décembre va rassembler 70.000 personnes au lieu des 20.000 pronostiqués.

La grève des enseignants sera très longue : de février à juin 1996, grèves et manifestations se succéderont.

Ce qui va marquer cette grève (qui durera quand même 5 mois), ce sera l’irruption des jeunes (dont la JGS, Jeune Garde Socialiste)  dans le combat autonome aux côtés des enseignant.e.s. Le gouvernement Dehaene-Onkelinx va dès le début envoyer la police contre les mouvements de jeunesse ce qui va provoquer un large soutien du mouvement syndical et des associations de parents d’élèves avec ces derniers. 

À nouveau, comme en 1990, des formes d’autoorganisation prendront place, en front commun. 

Au sein de la CGSP, un courant de gauche syndicale va se développer. Objectif : le refinancement de l’enseignement. Comment ? Par un impôt exceptionnel sur le patrimoine, par la lutte contre la grande fraude fiscale, par une augmentation de l’impôt sur les bénéfices des sociétés. Le PS est complètement remis en cause ; des enseignant.e.s affilié.e.s déchirent leur carnet de membre… 

En avril,  le décret Onkelinx est promulgué, et le 1er mai, les enseignant.e.s manifestent et perturbent les rassemblements du PS entre autre au Palais du Congrès de Liège, à la Maison des 8 heures de Bruxelles et dans de nombreuses localités.  Les enseignant.e.s chantaient l’Internationale contre le PS dont les mandataires ne pouvaient répondre que par des insultes telles que « corporatistes  », « égoïstes », « socialo-fascistes »… 

Contrairement à 1990, par la faute de l’intransigeance du PS (qui a jeté son masque, dans le cadre, encore une fois d’un gouvernement de collaboration de classe, au profit du capitalisme), et malheureusement de l’isolement de la CGSP, les travailleurs/euses n’obtiendront aucun acquis. Iels rentrent au travail sans victoire, mais avec la fierté de s’être battu.e.s jusqu’au bout, d’avoir déployé toute leur résistance et d’avoir « limité la casse » : sans combat , les pertes d’emploi risquaient d’être bien pires encore, et certains ont pu bénéficier d’une pension anticipée dans de bonnes conditions. Mais les conséquences se font sentir jusqu’à nos jours, atteintes à la qualité de l’enseignement, sélection sociale accrue, dévalorisation de la fonction d’enseignant qui aboutit aujourd’hui à des pénuries d’enseignants, et toujours pas de refinancement !