En utilisant l’expression « travail des femmes », on ne considère pas que les femmes sont naturellement enclines à faire certaines tâches. Non, nous parlons du « travail des femmes » dans une vision historique et politique de la féminisation de certaines tâches. Une vision qui part du constat qu’il y a une division genrée du travail et que les femmes ont été historiquement assignées à certaines tâches, dirigées vers certains emplois. Pour prendre un exemple, les femmes en parcours de migration sont orientées vers des formations d’aide soignantes, dans la vente ou dans le nettoyage. C’est notamment, mais pas seulement, via ce processus que les femmes exilées sont sur-représentées dans ces professions qui sont peu reconnues et mal rémunérées. Un autre exemple, c’est le secteur de la grande distribution qui a été très fort féminisé ce qui s’est traduit par la perte de nombreux droits sociaux et la dégradation des conditions de travail. Donc, lorsque l’on parle du « travail des femmes », on parle d’un travail dur, précaire et peu reconnu. Mais, on parle aussi de la fameuse « double journée de travail », c’est-à-dire tout le travail gratuit que font les femmes dans l’espace privé domestique : le ménage, les courses, la lessive… Enfin, on intègre aussi le travail informel dit « travail au noir », qui empêche l’accès aux droits sociaux.
Feminisme Yeah ! défend 5 combats centraux et une stragétie d’action articulée autour de trois tactiques.
1 – Mettre fin au racisme d’Etat
Ceci passe par la régularisation immédiate et sans condition de toutes les personnes sans-papiers et en procédure de demande d’asile. Dans les migrations récentes, 50% des personnes exilées sont des femmes. Il n’y a pas moins de quelques jours, l’Etat belge en pleine crise du coronavirus, a cherché à reflouer une adolescente syrienne de 16 ans en dehors des frontières. La question de la régularisation, ce n’est pas seulement l’affaire des personnes sans-papiers elles-mêmes et des militant.es pour la cause des personnes sans-papiers, c’est l’affaire de toute la population belge qui doit avoir cette revendication sur le bout des lèvres. Par souci d’humanité mais aussi parce que le travail des personnes sans-papiers et la pauvreté dans laquelle ces personnes sont maintenues, est un moyen de faire pression sur tou.tes les travailleuse.eurs. Nos luttes doivent être communes, elles doivent soutenir l’auto-organisation des personnes sans-papiers et porter leurs revendications.
Mettre fin au racisme d’Etat, ça passe aussi par mettre fin à l’oppression policière dans les quartiers populaires. La face visible et dramatique de cette oppression c’est le décès de jeunes, comme récemment concernant Mehdi et Adil, dans le cadre d’interpellations policières. La face cachée de cette oppression, ce sont des familles et des communautés entières qui doivent assurer leur autodéfense. On sait le rôle que jouent les sœurs, les mères et les femmes plus généralement dans la résistance. On parle beaucoup de la question de la charge mentale et du travail émotionnel. Parler de ça, ça doit aussi rendre visible le travail des femmes en quartier populaire face à l’oppression policière.
2 – Définition féministe, écosocialiste et démocratique du travail essentiel
Pour le moment, la définition des activités essentielles repose uniquement sur un bras de fer entre la santé et l’économie. Comment cela se fait-il que ce bras de fer existe ? Comment cela se fait-il que l’économie est un frein à la santé ? C’est compréhensible lorsque l’on sait comment fonctionne le système capitaliste mais ça ne veut pas dire pour autant que c’est tolérable.
Posons-nous la question autrement : quelles sont les activités essentielles ? Pour la santé mais aussi de façon plus générale, pour la vie. Quelles sont les activités essentielles, non pas pour l’accumulation du capital, pour le profit mais les activités essentielles à la vie ? Définissons collectivement ce que sont ces activités en harmonie avec la nature.
3 – Lutter contre la marchandisation des biens communs
Tout dans ce monde est devenu une marchandise. Le logement, le transport, la culture, la santé, le soin, l’alimentation, … tout ça doit sortir absolument du marché. Pourquoi c’est essentiel et quel est le lien avec le travail des femmes ? Parce que c’est la marchandisation de tous les biens communs qui fait que soit on passe toute sa vie à travailler, soit on passe toute sa vie à chercher un travail. La plupart des gens n’ont que cette double possibilité. Nous voulons passer notre vie à faire autre chose que de chercher du travail pour avoir accès à des biens les plus élémentaires comme le logement, la nourriture, la santé, l’enseignement.
4 – Faire du travail domestique une affaire publique
Face à la marchandisation et face au définancement systémique lié au système capitaliste, ce sont des individus qui colmatent les insuffisances dans la sphère privée et en particulier les femmes. Par exemple, on pense au nombre de femmes qui se retrouvent actuellement à devoir s’occuper de leurs enfants ou à prendre en charge des proches qui ont des besoins spécifiques, qui ont une souffrance psychique, qui ont besoin d’une assistance, … on pense aussi au nombre de femmes âgées elles-mêmes qui aident d’autres personnes dépendantes. Par ailleurs, toutes les personnes qui ont besoin de soins particuliers et d’aide spécifique, sont mises dans des situations d’extrême dépendance parce que leur permettre un minimum d’autonomie est le cadet des soucis du capital. Un autre exemple, c’est le « congé parental corona ». Il s’agit d’une insulte pour toutes les travailleuses femmes. Les conditions d’accès rendent ce congé inaccessible à la majorité des travailleuses qui travaillent majoritairement à temps partiel. Sur la page facebook de la FGTB qui publiait le post de ce congé parental, on peut voir que la majorité des commentaires sont postés par des travailleuses des titres-services qui disent « mais moi je ne vais jamais y avoir accès à ce congé alors que j’en ai ultra- besoin ! ». On parle de travailleuses qui nettoient dans les entreprises mais aussi chez les gens et qu’on force à travailler à temps partiel et avec des horaires coupés.
5 – Du repos pour les corps et les esprits lessivés
Qui prend soin des personnes qui prennent soin ? Les nettoyeuses, les infirmières, les soignantes, les femmes sans papiers, sont utilisées dans cette société jusqu’à ce qu’elles craquent. Elles sont utilisées comme des objets jetables. On doit y mettre fin.
Stratégie
On est dans une situation de pandémie, déjà que ce n’était pas facile de s’organiser avant mais en plus, dans cette situation-ci, on est encore plus facilement criminalisable et aussi, on ne peut pas s’organiser n’importe comment, on doit s’emparer des questions sanitaires et réfléchir à partir de là.
D’abord, mentionnons toutes les actions qui permettent de nous rendre visibles. La fonction première de ces actions c’est de continuer à embêter le système par le simple fait d’exister et de parler. C’est refuser de normaliser des situations anormales. Ça peut se faire avec des actions en ligne, comme tout ce qui est notamment fait par la coordination des sans-papiers de Belgique avec des photos qui demandent la régularisation. C’est investir la toile avec plein de messages et de revendications. Ça peut aussi se faire via des rassemblements express avec des précautions sanitaires comme ce qui a pu être fait devant la tour des finances pour réclamer la régularisation. On pense aussi aux rassemblements en voiture comme ça a été fait en Pologne face à une énième tentative de restriction du droit à l’avortement. Plusieurs polonaises ont organisé des blocages de rond-points en voiture. Dans le même genre, des travailleuses domestiques ont organisé un rassemblement en voiture dans l’Etat du Connecticut. Ce genre d’actions, demande une bonne organisation d’où la nécessité de continuer à l’heure actuelle de se parler et de s’organiser.
Une autre façon d’agir, c’est la solidarité concrète. La seule façon de pouvoir continuer à se mobiliser sans être asphyxiées c’est de pouvoir compter sur une solidarité. Pas une solidarité qui pallie au dysfonctionnement de l’Etat mais une solidarité qui nous donne les moyens d’agir collectivement. En résumé, ça veut dire qu’on ne peut pas faire la révolution le ventre vide.
Troisièmement, une tactique sans laquelle on n’obtient pas de victoire, c’est l’auto-organisation des travailleuses avec ou sans-papiers, avec ou sans-emploi. Les travailleuses doivent pouvoir décider ensemble de ce qu’elles ont besoin et de comment l’obtenir sans se soumettre à l’agenda d’un gouvernement, à l’agenda de parti ni à l’agenda de bureaucraties syndicales. Il faut s’organiser à la base, dans les syndicats, dans des comités en dehors de syndicats aussi. On peut penser à des comités de chômeuses, de maman solo, des comités à l’échelle de quartier. Des comités de personnes malades aussi et peut-être que ces personnes pourraient tout-à-faire prendre leur place dans un mouvement comme la santé en lutte.
Ce qui est essentiel à comprendre c’est que cette société tourne grâce à nous. Ça pourrait très bien tourner sans aucun patron. Si ça tourne grâce à nous, c’est précisément là que se trouve notre pouvoir. Comme le slogan féministe le dit : « si on s’arrête, le monde s’arrête ». C’est là que se trouve notre levier d’action et on voit qu’il y a déjà toute une série de travailleuse.eurs qui activent ces leviers, qui font des refus de travail. On l’a vu dans les hôpitaux, dans les maisons de repos, on le voit récemment à la STIB. On a aussi vu des travialleuse.eurs qui mettent la pression pour la reconversion des entreprises comme dans le textile et le métal.
Il faut une solidarité à travers les luttes. Il faut que dans nos luttes, on puisse s’emparer des revendications mutuelles de chacune. Armons-nous, pour reprendre les mots de Daniel Bensaïd, d’une lente impatience. Lente parce qu’on sait qu’on doit tenir sur le long terme, on peut penser à tout le processus entamé avec les grèves féministes notamment autour du Collectif 8 maars. Mais aussi une impatience parce qu’il faut cultiver notre impatience au quotidien pour maintenir une radicalité et pouvoir ouvrir des brèches.