1 – La démission du Ministre de la Justice, Sergio Moro, est aussi la confirmation que la consigne «Bolsonaro, Dégage !» est la tactique adéquate en ce moment pour l’opposition de gauche. Le PSol (Parti Socialisme et Liberté)  et maintenant le PT (Parti des Travailleurs) ont correctement décidé de défendre cela. C’est un slogan d’agitation, ce n’est pas encore pour l’action. Le succès de la campagne politique ordonnée autour du programme d’action qui unifie les consignes : «Sauver des vies, stopper les licenciements, renforcer le Système Unique de Santé (SUS), taxer les grandes fortunes, Bolsonaro Dégage !» dépend de l´existence d´un front uni de gauche. La décision d´y participer a généré une forte polémique. Certains pensent que c’est une décision précipitée, d’autres considèrent que nous avons des semaines, voire des mois de retard. Les deux positions sont compréhensibles. A chaque altération de la situation politique, on peut s’attendre à des débats sur les tactiques. Nous sommes dans une situation réactionnaire depuis 2015. Depuis lors, nous n´avons fait qu´accumuler des défaites. Maintenant que Bolsonaro est devenu plus fragile, apparaissent les doutes. Savoir évaluer les circonstances, le rythme et le bon moment, est d’une importance cruciale pour définir ce qu’il faut faire. Après tout, « A bas le gouvernement ! » n’est pas le onzième commandement caché ! On n’est pas plus révolutionnaire parce que l’on a défendu « Bolsonaro, dégage ! » quelques semaines ou mois avant les autres. C´est encore plus vrai en ces temps de confinement, sans conditions de se mobiliser efficacement pour renverser le gouvernement.  Aucun pouvoir ne fut jamais renversé par la gauche sans une mobilisation populaire monumentale, extraordinaire et colossale. D’ailleurs, nous ne pouvons tenter cela en ce moment. De plus, la gauche doit avoir un projet. Apprenons de ce qui s’est passé au Chili : Piñera trembla, mais ne tomba pas.

2 – Ces deux derniers mois, la crise sanitaire s’est transformée en calamité sociale, avec plus de 100 000 personnes infectées, bien que la sous-notification doit tourner autour des 100 %, et plus de 9 000 morts, chiffre également sous-estimé. On estime qu’à partir de la deuxième semaine de mai, on pourrait atteindre les 1.000 décès par jour. A commencé le moment le plus aigu, apocalyptique de la pandémie. Si le pire des scénarios se confirme, au cours des six prochaines semaines, nous aurons des dizaines de milliers de morts ainsi que des millions de nouveaux chômeurs. Le pays comptait déjà 12 millions de chômeurs pour une population économique active estimée à 105 millions, démontrant une situation des plus inégales au monde. Il y a au moins 38 millions de personnes qui travaillent mais n’ont pas de contrat et sont donc considérés « travailleurs  informels ».  Le gouvernement a présenté au Congrès un programme de Revenu minimum d’urgence, d’une valeur de 200 réals par personne par mois pour une durée maximale de trois mois, mais le montant a été augmenté à 600,00 réals par mois (environ 110 euros). Jusqu’à présent, un peu plus de 50 millions de personnes en ont bénéficié. Depuis décembre passé, le dollar est monté en flèche de 4,10 à 5,30 réals/dollar.

3 – Mai et juin devraient être le pic de la pandémie. Mais au lieu d’augmenter le niveau d’isolement social, – estimé pour São Paulo à 50% via la méthodologie de localisation du GPS des téléphones mobiles- , la plupart des gouvernements des États préconisent une plus grande  flexibilité pour le retour au travail. Lorsque la tragédie s’accélèrera, il n’est pas exclu qu’il y ait des blocages complets (lockdown) bien que tardifs, dans certaines capitales. Sur le plan politique, à partir du 15 mars, nous sommes dans une impasse très instable depuis que Bolsonaro a appelé à la mobilisation de masse pour sa stratégie contre l’isolement social.  Vu l’impact croissant de la pandémie en mars et la bizarre position négationniste de Bolsonaro, la classe dirigeante a essayé pendant quelques semaines de faire pression sur les militaires au sein du gouvernement, pour limiter les excès de la Présidence. Mais il est vite devenu évident que Bolsonaro est instable, imparable et incontrôlable. Son isolement politique tout comme la baisse de sa popularité n’ont cessé d’augmenter bien qu’à des rythmes différents, car il conserve l’appui du noyau dur de sa base sociale : la petite bourgeoisie propriétaire et les secteurs populaires très pauvres, tributaires du travail informel et de l’influence des églises évangélistes.

4 – Au niveau politique, la corrélation de forces s’est inversée, affaiblissant le gouvernement. Premièrement, il a perdu plus de la moitié des députés du parti qu’il avait utilisé lors des élections, dont Gustavo Bebianno qui dirigea la campagne électorale et Joyce Hasserlmann; puis Janaína Pascoal à São Paulo; ensuite, il a perdu le soutien du Gouverneur de Rio de Janeiro, Witzel et de celui de São Paulo, João Doria; puis du Ministre de la Santé, Mandetta et du Ministre de la Justice, Sergio Moro,  principale figure de l’opération « Lava-Jato ». À l’heure actuelle, ni Bolsonaro n’a de forces sociales et politiques suffisantes pour donner un auto-coup d’État, ni existe la possibilité d’une destitution imminente. La majorité de la classe dirigeante a déjà rompu avec Bolsonaro mais hésite sur son renversement en pleine crise de la pandémie. Le sort de la situation politique reste incertain. Mais il signale un affaiblissement relatif de Bolsonaro et s’insère dans une dynamique catastrophique. Dans ce contexte, Bolsonaro, chef de file d’un courant néo-fasciste qui maintient une influence de masse, quoique minoritaire, continue de militer pour plus de pouvoir : il défend un auto-coup d’État au service du projet bonapartiste, mais il n’a pas la force de faire le pas décisif pour le moment. Pour cette raison, il cherche à consolider le soutien de l´Armée, avec une plus grande présence de militaires dans les ministères, et l’élargissement de sa base parlementaire avec l’intégration des partis de centre droit au gouvernement.  Ce plan a été contesté par des dizaines de décisions du Suprême Tribunal Fédéral, depuis le mois de mars. Alors que Bolsonaro essaye de se protéger d’une mise en accusation, l’opposition de gauche reste divisée. La majorité des secteurs syndiqués de la classe ouvrière est déjà dans l’opposition, et la nouvelle classe moyenne urbaine -avec niveau d´études- est en train de se désolidariser du pouvoir, organisant des protestations aux fenêtres. Le PSol a décidé de soutenir la présentation d’une demande d’impeachment (mise en accusation), à l’initiative de dirigeants populaires. Mais le PT vacille toujours.

5 – Face aux difficultés de l’économie de sortir de la stagnation depuis 2019, avec une variation du PIB inférieure à 1%, et face à la perte d’alliés et de soutien de la majorité du Congrès national, Bolsonaro a défendu une tactique d’auto-coup d’État à la Fujimori et les manifestations publiques du 15 mars furent l’expression de cette offensive. Cependant, avec les premiers impacts de la crise sanitaire et ses répercussions économiques, le scénario politique national commença à changer radicalement. Au début, Bolsonaro et son cabinet économique ont sous-estimé les effets de la pandémie. Ils restèrent sur la défensive du 8 au 15 mars, quand commença à apparaître une division dans les classes dirigeantes et une fissure dans le gouvernement. D’une part, sur la question de la pandémie, le ministère de la Santé, dirigé par Mandetta sous la direction du DEM, ainsi que la grande majorité des Gouverneurs des États prêchèrent pour l’isolement social, se distançant de la ligne négationniste de Bolsonaro. D’autre part, le secteur économique a connu des jours de paralysie, adoptant des mesures inutiles telles que des enchères en dollars, annoncées à l’avance, qui ont consommé 45 milliards des 375 milliards de dollars des impressionnantes réserves de l’Etat, tandis que le marché boursier s’effondrait dès les premières « ruptures de circuit » (circuit breaks”.

6 – Le gouvernement riposta et tenta de passer à l’offensive mais il échoua. D’une part, il accusa le Congrès de « l’empêcher » de gouverner. Soupçonné d’avoir contracté le covid-19, Bolsonaro se dit menacé et refusa l’isolement.  Appuyé par l’aile néo-fasciste la plus extrême de son entourage familial -qui correspond au Tea Party des républicains américains (Marcos Rubio)-, il convoqua les manifestations du 15 mars qui demandaient   la clôture du Congrès. Cependant, entre le 15 et le 21 mars, se sont accentuées les divergences au sein du gouvernement en ce qui concerne la lutte contre la pandémie. Alors que Bolsonaro continuait à nier les effets de la pandémie et à mettre l’économie au premier plan, une partie de la base de soutien du gouvernement comme le DEM qui dirige le ministère de la Santé, ainsi que d’ autres partis de l’actuel nouveau centre comme le PSDB et le PMDB, suivis de leurs gouverneurs, parlementaires et  maires respectifs – et même des élus du PSL et du PT-,  les plus concernés par les élections municipales prévues en octobre, tous insistaient sur la politique d’isolement social. Le 16/03, Bruno Covas (maire de SP) décrète l’état d’urgence à Sao Paulo et certaines universités comme Unicamp commencent à suspendre les cours. C’est au cours de ce bras de fer que Bolsonaro s’isole de plus en plus, en insistant sur le maintien de l’activité économique au détriment de la lutte contre la pandémie, et certains secteurs bourgeois commencent à passer à l’opposition. La conjoncture politique changea lorsque la majorité bourgeoise bascula dans l’opposition.

7 – L’état de calamité publique est décrété, et l’orthodoxie fiscale qui soutenait le plan économique du Ministre Guedes est définitivement abandonnée ; les premières mesures de lutte contre la crise économique sont annoncées. A la flexibilisation monétaire (réduction des taux d’intérêts) déjà en cours, s’est ajouté une flexibilisation fiscale totale, avec des ressources pouvant atteindre 600 milliards de Réals, soit 8% du PIB. Sur cette base, Guedes commença par s’entendre avec les secteurs bourgeois – d’abord les banques et ensuite le secteur industriel – et s’accorder avec le Congrès national. Ce même jour, 17 mars, la presse réagit : le journal Estadão, l’un des trois plus importants du pays, prend position contre Bolsonaro ;  des articles du journal Folha de São Paulo parlent de la possibilité de destitution;  et Globo, le journal du plus grand groupe de presse nationale, préconise d’interrompre le mandat en raison d’une incapacité psychologique. À ce moment-là, il y avait déjà 10 demandes de mise en accusation (impeachment), présentées au Congrès, la première déposée le 5 mars. Ce 17 mars, la Direction nationale du PT rejette le slogan «Dégage Bolsonaro ». Et encore ce même jour, à la veille de l’appel à manifester du 18, a lieu la première manifestation de casseroles aux fenêtres des quartiers de classe moyenne de Sao Paulo. Le 18 mars, malgré l’annonce officielle que le Général Augusto Heleno avait été testé positif pour le coronavirus, Bolsonaro confirme l’appel à manifester le 31 mars, devant les casernes. Ce fait inquiéta même les militaires et le ministre de la Défense, Fernando Azevedo Silva, déclara que de telles déclarations «n’aident pas» à la situation. Ce jour-là, Sâmia Bonfim (MES / PSOL) présenta une demande d’impeachment, sans l’approbation du groupe parlementaire du PSol. Ce même soir-là, à 20 heures, les manifestations aux fenêtres et balcons s’étendirent à plusieurs villes du pays. Bolsonaro appela à une contre-manifestation à 21 heures, mais elle fut nettement plus faible.

8 – Le 19 mars, un des fils de Bolsonaro, député fédéral, dénonça la Chine comme responsable de la pandémie et l’Ambassade de Chine répondit en l’accusant d’être au service de Trump.La déclaration du clan Bolsonaro se heurte à la bourgeoisie, en particulier le secteur de l’agro-industrie qui craint que les relations économiques avec les Chinois ne soient affectées. Le journal El País publie une enquête de l’Atlas Politique qui révèle que la gestion de Bolsonaro face à la pandémie est désapprouvée par 65% de la population, et 45% sont en faveur de sa destitution. Le 20 mars, l’Union Nationale des Etudiants (UNE) décide d’appuyer le slogan « Dégage Bolsonaro «  mais reste contre l’impeachment. Le même jour, la Coordination Nationale de Resistencia, organisation politique et courant interne du PSol décide d’incorporer dans ses consignes, le slogan «Dégagez Bolsonaro e Mourão».  La XP publie une enquête qui révèle que Bolsonaro a 36% d’approbation et Mandetta 56%. Depuis lors, avec une légère fluctuation, la désapprobation contre le gouvernement n’a cessé de croître.

9 – Entre le 21 et le 30 mars, alors que la contagion et le nombre de morts augmentaient, principalement à Sao Paulo, et que  même le ministre de l’économie, Paulo Guedes, commençait à reculer, Bolsonaro doubla le pari et convoqua la réalisation de caravanes pour le week-end du 28 – 30 mars,  défiant une fois de plus les consignes d’isolement social.  Le 21 mars, un nouveau concert de casseroles se produisit spontanément. Le syndicat du métro de Sao Paulo obtient en justice le retrait du groupe à risque de son personnel. Le 22, une enquête est publiée dans laquelle une majorité de 73% soutient les mesures de confinement.  Le journal Folha de Sao Paulo met en évidence le fait que la population de la favela de Paraisópolis s’auto-organise contre la pandémie. À ce stade, les alliés de Bolsonaro commencent à l’abandonner en nombre croissant. Luciano Hang, symbole de l’appui à Bolsonaro dans le secteur des entreprises, s’est d’abord opposé à une paralysie de l’activité économique, puis,  réalisant que son plan d’expansion (2020) de 500 millions emprunté à la BNDES s’était transformé en poussière, prêche alors «l’union nationale». Janaina Pascoal, la députée la plus votée de l’histoire de São Paulo, et qui avait été citée comme candidate à la vice-présidence, prend la parole à l’Assemblée législative / SP pour demander la destitution de Bolsonaro.

10 – Entre-temps, des Gouverneurs d’Etat et des maires des grandes villes, ainsi qu’un secteur composé d’un grand nombre de parlementaires, commencent à se coordonner en bloc pour défendre l’isolement social et empêcher les caravanes des pro-Bolsonaro contre la quarantaine. Dans le fond, il s’agit d’un processus de rupture avec le gouvernement.  Par exemple, le Gouverneur de l’Etat de Goiás, Caiado, un leader de l’industrie agro-alimentaire qui fut hué lors de la manifestation du 15 mars après avoir défendu l’isolement social, rompt définitivement avec Bolsonaro. Les manifestations de l’aile néo-fasciste se sont soldées par un échec, car elles sont en contradiction avec le sentiment de la majorité de la population qui soutient l’isolement social. Le 23 mars, XP, le plus grand cabinet de consultance pour investissements en Bourse, évoque la nécessité d’appliquer un Plan Marshall, tandis que le gouvernement a lancé la Mesure Provisoire 927 autorisant la suspension pour 4 mois des contrats de travail.  Un sondage de ce jour-là montre une cote d’approbation du gouvernement de 25% contre une désapprobation de 48%. Certains gouverneurs (Helder do Pará, Dino do Maranhão, Witzel do Rio de Janeiro, etc.) ont réalisé des vidéos contre Bolsonaro, condamnant les caravanes contre la quarantaine et  à faveur d’un auto-coup d’État.  Ciro Gomes a présenté une requête contre la Mesure Provisoire 927 devant le Tribunal Suprême de Justice (STF). Les réseaux sociaux indiquent une augmentation du mécontentement à l’égard de Bolsonaro. DataFolha, l’institut de sondages le plus respecté du pays, publie des résultats de sondage d’opinion sur le gouvernement : 35% excellent/bon;  26% moyen et 33% mauvais / exécrable. Le sondage Ibope montre une approbation de 25% et un rejet de 48%. Bolsonaro révèle une stupéfiante résilience, mais dans une dynamique de déclin de son approbation.

11 – Le 23 mars, la Banque Centrale décide d’apporter un soutien de 1,2 milliards aux banques (16,7% du PIB), un chiffre bien supérieur aux 117 milliards injectés lors de la crise de 2008. Prévoyant des difficultés dans le système de crédits, le 20 février dernier, le gouvernement avait déjà réduit le pourcentage des dépôts obligatoires des banques à la Banque Centrale de 31% à 25%, ainsi que le recouvrement obligatoire, soit un allégement de 135 milliards. Une autre Mesure Provisoire comprenait une nouvelle baisse du taux (25% à 17%, soit plus de 68 milliards) , la flexibilité des règles de l’ACV (2,2 milliards), de la FL (670 milliards); et, enfin, un paquet de seulement 85,6 milliards pour les fonds de Santé publique des États et des municipalités.  Le 24/03, suite à un autre concert de casseroles, Bolsonaro fait une nouvelle déclaration qui reflète un certain recul de ses positions.  L’armée estime que le ton de la déclaration de confrontation avec les gouverneurs et le Congrès était erroné mais le contenu du message correct car il aurait défendu l’isolement social et la diminution des activités économiques. João Amoedo (un politicien millionnaire qui fut candidat du parti Nouveau) s’oppose à cette déclaration. ACM Neto, le maire de la ville de Salvador de Bahia et président du DEM et João Dória, Gouverneur de São Paulo et haut dirigeant du PSDB, deux partis traditionnels de la classe dirigeante, le condamnent à grands cris.  Seuls 5% des 2 millions de suiveurs sur twitter soutiennent la déclaration. Les entrepreneurs parlent de la nécessité « d’un ministre comme Mandetta dans l’économie», considérant sans doute que les aides aux banques sont bien trop importantes par rapport aux leurs. A 20 heures, dans le principal journal télévisé du Brésil (Red Globo) avec une audience de plus de la moitié des 70 millions de foyers, Mandetta pousse à l’isolement social.  Une petite anecdote : le Général Edson Pujol, Commandant de l’Armée avait fait, la même après-midi, une déclaration plaçant la lutte contre le coronavirus comme la mission la plus importante de l’histoire de l’Institution (une main amie tendue), tout en prêchant l’union et promettant de défendre l’ordre constitutionnel avec rigueur (la main forte prête). Soit un signal clair qu’il est contre les affrontements en cours et le parcours aventureux de Bolsonaro. Le pays s’enflamme de par la division institutionnelle face à la pandémie.

12 – Par ailleurs, aux États-Unis, Trump plaide pour le retour au travail, ce qui démontre l’alignement de Bolsonaro avec la Maison Blanche. Le 25 mars, le FED annonce un paquet de 2 milliards de dollars pour atténuer l’impact du covid-19 sur l’économie (500 milliards pour l’industrie ; 350 milliards pour les petites et moyennes entreprises; 100 milliards pour les hôpitaux; 150 milliards pour les gouvernements locaux). Au Brésil, le Front « Povo Sem Medo » et le Front « Brasil Popular » se rencontrent le 24 mars pour approuver une plate-forme commune de revendications au gouvernement, ce qui peut être considéré comme le plus important embryon d’un Front Uni de gauche. Les gouverneurs de la région du nord-est ont lancé un manifeste contre Bolsonaro. À Rio, le maire Crivella, suivant Bolsonaro, décide de rouvrir les magasins ; mais le Gouverneur de l’Etat de Rio, Witzel, l’interdit. Carlos Bolsonaro, un des fils du Président, décide de rejoindre le parti républicain (PRB), de Crivella, également dirigeant de l’Église Universelle, pour pouvoir se présenter aux prochaines élections municipales, scellant ainsi une alliance stratégique avec les secteurs religieux évangélistes. Bolsonaro fait une déclaration sur les réseaux sociaux mais les manifestations à son encontre sont largement majoritaires ; le Vice-Président, Général Mourão, défend l’isolement social et dit que le Président s’est peut-être mal exprimé sur les réseaux sociaux. Lula donne une interview et parle de démission ou d’impeachment de Bolsonaro.  Abílio Diniz a déclaré avoir parlé à Guedes qui se serait engagé à investir 600 milliards de Réals dans l’économie (120 milliards d’euros) destinés à l’industrie et à la consommation. Dans une lettre commune, les 26 Gouverneurs demandent l’application d’un revenu minimum d’urgence. Ce jour-là, il y eut à nouveau des concerts de casseroles et Bolsonaro mentionna un «coup d’État en cours» contre lui. Le 26 mars, un nouveau sondage de l’Atlas Politique indique que 47% approuve l’impeachment et 45% le rejette. Les militaires se rencontrent et discutent de la question de l’impeachment. FHC dit qu’ «il vaut mieux la fin de Bolsonaro que celle du peuple». Se met en place l’articulation supra-parti d’une demande d’impeachment. Bolsonaro relève le pari et en appelle à de nouvelles caravanes de voitures sous le slogan «Retour Brésil». Dans les favelas de la zone nord de Rio, il était déjà possible d’observer le retour à une activité normale. Le revenu d’urgence minimum de 600 Réals pour les chômeurs et les travailleurs sans contrat est approuvé par le Congrès – il pourra atteindre 1200,00 pour les familles monoparentales. On estime qu’entre 50 et 60 millions de personnes pourraient en bénéficier. Le coût est estimé à plus de 50 milliards de Réals (10 milliards d’euros).

13 – Le 27/03, alors que le gouvernement annonce une aide de 40 milliards de Réals pour financer le paiement des employés des petites et moyennes entreprises, Bolsonaro revient à la charge avec le slogan « Le Brésil ne peut pas s’arrêter », et embauche – sans licitation – une entreprise de publicité pour 4,8 millions de Réals. La chute des prix du pétrole résultant du différend entre la Russie et l’Arabie Saoudite et qui menace de détruire l’industrie du pétrole de schiste nord-américaine déjà endettée, affecte gravement Pétrobras, la plus grande entreprise nationale. En réponse à la contre-attaque de Bolsonaro, les gouverneurs interdisent les caravanes du «Retour Brésil». La Cour Suprême Fédérale (STF) interdit à Bolsonaro d’adopter des mesures contre l’isolement social et invalide deux décrets qui considéraient les cultes comme un service essentiel (qui devait rester ouvert pendant la pandémie).  Le 28 mars, il fut rendu public que les autorités militaires (l’Armée de terre, la Marine et l’Armée de l’Air) avaient déclenché l’alerte, suite à deux réunions pour analyser la gravité de la situation nationale et constater la détérioration de l’image du président. Ils décidèrent de faire pression sur les militaires en poste de ministres, pour mettre des limites à Bolsonaro.

14 – Parallèlement, les caravanes pro-Bolsonaro ont moins de succès. À Porto Alegre, elles sont relativement faibles et pourchassés et, à Rio de Janeiro, elles n’arrivent pas se mettre en route, après avoir été interdites par les tribunaux. Le ministère de la Santé prolonge la durée de la fermeture des écoles. Le G20 et l’ONU envoient une lettre à Bolsonaro pour avertir du risque d’une pandémie apocalyptique. Il ne reste alors plus que 3 Gouverneurs alliés de Bolsonaro: celui de Santa Catarina,  de Matto Grosso et celui de l’Etat de Rondônia. La presse annonce que Bolsonaro veut renvoyer Mandetta, le ministre de la Santé. Les chefs de partis et des personnalités politiques (comme Ciro, Gleisi, Hadad, Boulos et Dinho) lancent un manifeste appelant à la démission de Bolsonaro.  Le Front « Povo Sem Medo »et le Front « Brasil Popular » lancent un programme économique d’urgence Mais à la Cour Suprême Fédérale (STF), Rodrigo Maia s’oppose toujours à l’impeachment, arguant des difficultés et les coûts politiques de ce processus, en pleine pandémie. Le 31 mars, est publiée une note des Forces Armées. Dans celle-ci, bien que revendiquant le coup d’État de 1964 face au danger communiste -suite à l’impact de la révolution cubaine- l’Armée se positionne en gardien de l’ordre constitutionnel, indiquant qu’elle est  contre l’interruption du régime démocratique, en pleine crise de la pandémie. Moro et Mandetta agissent en choeur contre Bolsonaro. Un peu plus tard, la conférence de presse journalière du gouvernement sur la pandémie apparaît sous un nouveau format, désormais coordonnée par le militaire Braga Neto, sans la présence de Bolsonaro. Le 3 avril, le journal Estadão a publié un article révélant que le 30 mars, le Président avait rendu visite au Général de réserve, Eduardo Villas Bôas, pour recevoir son soutien. Par la suite, Villas Bôas a émis un message «personne ne protège Bolsonaro». Villas Bôas est énormément respecté dans l’armée, mais reste un homme de l’armée de Réserve.  Le soutien militaire semble insuffisant pour blinder Bolsonaro.

15 – Nous sommes toujours dans une situation réactionnaire – car se maintient le cadre général de l’offensive bourgeoise, la régression et division politico-idéologique de la classe ouvrière ainsi que l’apparition à l’extrême droite d’un secteur important de la classe moyenne. Nous sommes à la défensive, mais la conjoncture a changé.  Politiquement, le rapport de forces a bougé, positivement, avec l’affaiblissement du gouvernement de Bolsonaro. Une nouvelle conjoncture s’est ouverte avec l’explosion de la crise du coronavirus et la réponse négationniste et génocidaire du gouvernement, qui a adopté une ligne contre l’isolement social. Celle-ci a provoqué une plus grande confrontation politico-institutionnelle. A court terme, la pandémie va s’aggraver dans le pays, augmentant considérablement le nombre de décès (à l’échelle de dizaines de milliers de personnes) et provoquant l’effondrement du système de santé publique dans de nombreuses régions. En rigueur, la faillite du système  a déjà commencé dans les villes capitales de Manaus, Rio de Janeiro, Belém, Macapá, Fortaleza, São Luiz, entre autres grandes agglomérations. Les mois de mai et juin devraient enregistrer le pic de la première vague de la maladie, dans le pays. L’année 2020 devrait enregistrer la plus forte baisse du PIB national, depuis plus de 100 ans. Une reprise rapide en forme de V est improbable. La tendance est qu’après la dépression accrue du premier semestre 2020, s’en suive une longue période de crise, à moyen ou long terme.

Traduit par Chantal Liégeois pour Contretemps.