Cela fait un mois que le directeur général de l’Organisation Mondiale de la Santé, Tedros Adhananom Ghebreyesus, a annoncé que le Coronavirus Covid-19 passait du statut d’épidémie à celui de pandémie. L’OMS avait pourtant prévenu. Dans son rapport « Global Preparedness Monitoring Bord » de septembre 2019, elle écrivait « la menace d’un pathogène respiratoire hautement mortel et se diffusant très rapidement pourrait tuer 50 à 80 millions de personnes. Cette menace est très réelle ». Message non-entendu pas notre ministre de la santé, ex-vedette des sondages, Maggie De Block. Aujourd’hui, nous vivons dans la terreur d’être contaminé.e.s ou de contaminer nos proches.
Comme chaque jour depuis le début du confinement, à 11h tapantes, nous sommes rivés à nos postes de télévision pour écouter la conférence de presse du Centre Interfédéral de Crise Covid-19 du Service Public Fédéral Santé Publique. Ce que nous découvrons nous stupéfait : nos ancien.ne.s paient le prix fort de cette crise. Leur faute, être des pensionnaires de maison de repos (MR) ou en maison de repos et de soins (MRS).
En Belgique, 42.876 lits disponibles en maison de repos (MR et MRS) dépendent directement d’un centre public d’action sociale (CPAS). Dans le même temps, 103.647 lits sont dans les mains du secteur privé (société commerciales et association sans but Lucratif) ! C’est donc 70,8 % des lits qui échappent au secteur public.
La plupart de ces lits sont dans les mains de structures dont le seul objectif est le profit à tout prix. Depuis plus de 15 ans, les petits indépendants ont laissé place à des géants financiers. Pour mieux comprendre ce phénomène, il suffit d’analyser la taille des 4 plus grandes sociétés commerciales du secteur (Senior Assist, Armonea, Orpea et Senior Living Group) qui représentent 419 implantations en Belgique. Lorsqu’on sait qu’en Belgique la taille moyenne d’une maison de repos est de 98 lits, on peut en déduire que ces 4 entreprises détiennent au moins 41.062 lits (39,62 % du total des lits disponibles en Belgique).
Pour bien comprendre l’intérêt des sociétés commerciales et des ASBL pour les maisons de repos, il faut saisir leur mode de financement. Les sources de financement trouvent leurs origines dans la prise en charge financière directe ou indirecte par les pensionnaires et leurs familles (hébergement, frais supplémentaires, coûts cachés …) et par un financement public important lié au niveau de dépendance de chacun des résident.e.s et à l’infrastructure. À cela, s’ajoutent les avantages fiscaux tels que les déductions d’intérêts notionnels.
Malgré cela, en 20 ans, le prix d’hébergement a augmenté de 20 % (tous types de maisons de repos confondues) et les structures privées ont creusé l’écart avec le secteur public. Les prix pratiqués dans les maisons de repos privées sont de loin bien supérieurs à ceux du public. Ainsi, le secteur privé fait office de service de luxe pour personnes âgées dépendantes.
Et pourtant, la qualité du service est moins bonne que dans le secteur public. Citons en exemple les niveaux d’encadrement. Lorsqu’on analyse le nombre d’équivalents temps plein pour assurer l’encadrement d’une personne âgée, on constate que le secteur public affiche 0.78 temps plein alors que l’associatif n’en affiche que 0.56 et que le privé à finalité commerciale peine à atteindre 0.40 temps plein par lit. Le sous-effectif en personnel du secteur privés impacte gravement la qualité de vie des personnes âgées. Ainsi, il n’est pas rare de voir les pensionnaires mis au lit à 16h et levés dès 5h du matin. Services de luxe et de qualité avez-vous dit ?
On comprend mieux le cri d’alarme lancé ce 13 avril par une infirmière d’une maison de repos et de soins sur les ondes de Télésambre – « Je ne sais pas comment cela se passe dans les institutions dépendant du CPAS. Moi, je travaille dans une MRS de la région de Charleroi qui dépend d’un grand groupe privé. Je ne vous dirai pas lequel mais la situation est pour ainsi dire la même que ce soit chez Orpea, Acis, SLG ou Armonea, là où c’est la rentabilité qui l’emporte. Nous sommes les sacrifié.e.s du Covid-19. Que ce soit le personnel ou les résident.e.s ».
Voilà, les mots sont lâchés : « C’est la rentabilité qui l’emporte ».
Vincent Frédéricq, secrétaire général de Femarbel nous l’a d’ailleurs rappelé récemment insidieusement « tou.te.s résident.e.s qui quitteront la maison de repos ne pourront y revenir ». Une façon indélicate mais assez claire de dire aux familles inquiètes de savoir leur parent en maisons de repos qu’ils devront assumer leurs parents. Aucun mot sur la possibilité de tester les personnes âgées lors de leur retour en maison de repos ou plus simplement, de mettre à disposition des résidents des zones d’hébergement temporaire.
Il y a bien longtemps que les maisons de repos ne sont plus au service des personnes âgées. Les perspectives de croissance du fait du vieillissement font d’elles un business rentable du secteur économique au service des personnes âgées, la « Silver Economy ». Certains groupes sont même cotés en Bourse.
La facilité déconcertante avec laquelle les maisons de repos appellent le service public à l’aide a de quoi surprendre. Comme le secteur bancaire financiarisé, les bénéfices restent dans le privé et les difficultés partagées avec le public.
Après cette crise, il nous faudra demander des comptes aux autorités publiques mais aussi aux entreprises privées qui ont été incapables de s’informer correctement, de prendre en compte les alertes de l’OMS et d’organiser la mise à disposition de masques, de dépistages de masse et des zones de protection pour nos malades chroniques, nos personnes handicapées et nos ancien.ne.s.
À l’heure de la plus grande crise sanitaire que le pays ait connue, les attaques contre notre système de santé et sa privatisation massive mettent au grand jour l’incapacité du secteur privé à répondre correctement aux besoins des soignants et du public.
La santé est un bien commun et elle doit être débarrassée des virus de la rentabilité et de la marchandisation. Les maisons de repos doivent impérativement être placées sous contrôle public total dans le cadre d’une sécurité sociale autogérée. Il en va de la survie de l’accès aux soins pour tous !