A l’heure où la suite des aventures d’Anastasia Steele et Christian Grey, «Cinquante nuances plus sombres» est attendu dans les salles obscures pour la date symbolique (et à haut potentiel marketing!) de la Saint-Valentin, il est bon de se repencher sur ce best-seller douteux et d’en comprendre les mécanismes qui tendent à rendre la violence conjugale… glamour!

Dans un style médiocre, le premier tome du roman (tout de même vendu à quelques 40 millions d’exemplaires à travers le monde à sa sortie!), rempli de formulations grotesques et de répétitions, se présente comme un «porno pour mamans» ou bien encore comme un «manuel d’éducation sexuelle pour jeunes filles».

Or très vite au cours de la lecture, on se rend compte que non seulement la relation entre les personnages est très lointaine de la réalité: une jeune femme vierge de 21 ans rencontre un jeune milliardaire autoritaire, accro au sexe et aux pratiques sadomasochistes (SM) ; mais qu’en outre, elle semble faire délibérément l’éloge du viol et de la violence conjugale. Fascinée et manipulée par le beau milliardaire, l’héroïne accepte coups, viols, fessées «érotiques», violence psychologique, privations des libertés élémentaires, etc.

Il est intolérable et dangereux de présenter ce récit comme une romance, car la relation et la sexualité apparaissent ici clairement comme abusives. Plus qu’une pratique de jeux sexuels SM, il s’agit ici d’une tentative de dégradation de l’autre, de déshumanisation, et de sexualité non égalitaire. Pire encore, le livre, et donc le film par extension, tend à faire croire aux femmes qu’être dominée et manipulée est leur désir profond et caché.

En effet, le roman insinue, tout au long du récit, qu’une femme doit s’abandonner à un homme puissant et dominateur pour une sexualité épanouie. Pour les plus novices en matière de relation amoureuses et sexuelles, le message du roman est assez clair: n’hésitez pas à forcer votre partenaire, elle ne sait pas ce dont elle a besoin, elle aimera sûrement ça!

La chercheuse en psychologie, Amy Bonomi, de l’Université du Michigan a analysé la maltraitance exposée dans le récit et en conclut qu’Anastasia Steele «souffre des réactions typiques des femmes maltraitées». Il est interpellant de constater que les statistiques sur le lectorat de «Cinquante nuances de Grey» de cette docteure en santé publique montrent que les lectrices de ce roman auraient 25% de plus de chances d’avoir un partenaire qui abusent d’elles verbalement, 34% de chances en plus que leur partenaire les suivent dans la rue, et plus de 75% de chances qu’elles fassent des régimes radicaux ou consomment des produits amincissants.

En bref, cette série littéraire érotique banalise sans complexe
la violence conjugale jusqu’à la rendre glamour

Il est dangereux de constater que de nombreuses jeunes femmes déclarent s’identifier à l’héroïne soumise et violentée et la décrivent comme «ordinaire». Le succès de ces romans prouve également et tristement que les jeunes femmes semblent manquer cruellement de confiance en elles et ce, même au sein de leurs relations amoureuses. Il est très inquiétant d’imaginer les conséquences que la popularité de ce best-seller, dont 70 millions d’exemplaires sont à l’heure actuelle en circulation, pourrait avoir sur certaines femmes. Faire la promotion d’un tel récit est moralement condamnable.

En conclusion, si «Cinquante nuances» semble être une lecture sexy et divertissante et si aller voir le film en amoureux pour la Saint Valentin semble romantique, l’image de la sexualité qu’il véhicule va à l’encontre de la dignité et de l’émancipation des femmes.

Selon une étude menée en 2015, en Belgique, 12,7% des femmes ont déclaré avoir subi des violences physiques et/ou sexuelles. Plus de 25% de ces coups et blessures ont lieu au sein même du couple. (Sources: SOS Violence www.sosviolence.brussels, Vie Féminine, Collectif contre les violences familiales et l’exclusion)