Notre camarade Mohand Sadek Akrour, maire PST (Organisation sœur de la Gauche anticapitaliste) de Barbacha, en Kabylie, a répondu à nos questions sur son activité de maire d’une commune confrontée à un système particulièrement corrompu et bloqué, et sur les luttes que les camarades mènent dans la ville avec la population.
Comment être maire et révolutionnaire ?
On ne peut pas dire qu’on est révolutionnaires, c’est un bien grand mot, le contexte ne nous le permet pas. On baigne dans des contradictions. Nous ne sommes pas électoralistes mais on participe aux élections. Au niveau local, nous construisons un contact direct avec la population, avec les masses. Nous sommes au service des masses, avec une fonction qui tente de minimiser les dégâts. On ne peut pas faire beaucoup plus dans un système corrompu et un capitaliste retardataire comme celui de l’Algérie.
Nous sommes là pour accompagner le peuple dans sa lutte. La seule promesse que nous faisons durant les campagnes électorales est que, si les masses veulent se battre, nous serons toujours au-devant de la bataille, qu’elles pourront se mettre derrière nous pour lutter. Nous disons aussi que rien ne se donne dans un pareil système, tout s’arrache, que ce n’est pas un maire qui règle les problèmes, ce sont les rapports de forces. Nous avons été sincères dès le début.
Nous avons gagné cette commune de par notre capital d’expérience, notre capital militant. En 2007, il y a eu un vote sanction contre le RCD, le FFS, les partis kabyles, mais aussi les partis du pouvoir – FLN et autres.
Notre but est que cela fasse évoluer la conscience de classe de la population pour qu’elle nous accompagne dans notre mission. Ce n’est pas facile, dans une commune de 18 000 habitants, qui dépend totalement des deniers publics, qui a peu de ressources propres et pas les moyens de les développer.
Quelles sont les marges de manœuvre ?
Les marges de manœuvres économiques sont limitées parce que nous dépendons totalement des deniers publics. On ne peut agir que sur la définition des priorités. Par exemple, si on nous donne dans les plans communaux de développement (PCD) cinq milliards de centimes, c’est à nous de classer les priorités, avec la participation de la population.
Ça nous permet de montrer le vrai visage du pouvoir. Il y a de la matière pour créer des richesses locales.
Nous avons une mine de fer et de calcaire qui a fonctionné de 1926 à 1957 puisqu’elle a été arrêtée pendant la guerre de libération par les moudjahidin. Le pouvoir en place ne veut pas qu’une commune se prenne en charge. Même actuellement, avec le krack pétrolier de 2014-2015, on parlait de l’autofinancement des communes mais il n’y a aucun accompagnement, aucun moyen donné aux communes pour créer leurs propres richesses.
Nous sommes une commune rurale, montagnarde, qui peut donc être développée, créer de l’emploi, dans l’arboriculture, dans l’élevage. Dans l’arboriculture, nous avons engagé un bras de fer avec les pouvoirs publics pour l’ouverture de pistes agricoles. Pour cela, la direction des forêts et la direction de l’agriculture interviennent, mais elles n’agissent largement pas assez. Nous revendiquons donc des engins pour la commune pour pouvoir tracer les pistes afin d’aider les paysans à investir dans leurs champs.
C’est cette question qui a été le déclencheur du conflit avec le wali de la période 2007-2012. Nous l’avons reçu à plusieurs reprises pour lui expliquer les problèmes et les attentes et, les deux dernières années du mandat, nous lui avons interdit de mettre les pieds sur notre commune s’il ne venait pas avec des engins, bulldozers, niveleurs, rétrochargeuses.
Nous n’avons aucune usine, il n’y a que des commerçants, des petites entreprises de matériaux de constructions comme les parpaings. La fiscalité permet de recevoir un pourcentage pour la commune. Ce sont ces recettes sur lesquelles nous avons une liberté de choix pour les dépenses.
Nous baignons donc dans le quotidien et nous n’avons pas le temps réellement pour faire de la politique, pour capitaliser ce que nous faisons. Il y a un manque énorme au niveau du développement de la commune. Il y a 34 villages, il y a encore une forme de tribalisme et les subventions de l’État sont insuffisantes pour satisfaire les besoins de la population.
Nous restons essentiellement au stade de répondre aux besoins primaires — travaux de sous-sols pour les réseaux d’eau potable, d’assainissement, de gaz, l’électrification.
Comment impliquer la population ?
Quand on appelle à la mobilisation de la population, il y a une partie qui s’associe, mais il y a une habitude, un réflexe chez les gens, par manque d’engagement, qui consiste à dire : vous êtes maire, on a voté pour vous, c’est à vous d’aller vous casser la tête face du préfet, au wali, aux autorités officielles.
On a peut-être fait plus que les autres dans le développement d’une commune comme Barbacha, pas au sens d’installer des infrastructures de production hélas, mais on a pu arracher beaucoup de projets. D’ailleurs, durant le premier mandat 2007-2012, nous avons énormément dérangé le pouvoir, qui a essayé de freiner notre élan. Lors du deuxième mandat 2012-2017, nous avons gagné et le pouvoir a été obligé d’inventer une procédure qui permet aux minorités de faire des alliances pour nous bloquer, ce qui fait que nous avons passé cinq ans sans maire à Barbacha ! Mais il y eu une résistance énorme pour empêcher un maire, choisi par le wali, de s’installer et la commune a été plus ou moins autogérée pendant cinq avec un intermédiaire, le secrétaire général de la mairie, qu’on a placé pour les affaires quotidiennes, le sous-préfet les deux dernières années.
Nous avons pu transformer la majorité relative en atout dans le sens où nous avons expliqué dans un meeting que la souveraineté populaire a été bafouée.
La population a été mobilisée pendant cinq ans, notamment dans un grand rassemblement à la préfecture de Bejaïa, dont nous avons fermé l’accès à la Préfecture pendant une journée. La police est intervenue le soir et nous avons eu 24 détenus. Le lendemain, la population est encore intervenue en masse, avec des bus, tous les moyens de transports privés et publics et 48 heures après l’arrestation, nous avons été libérés.
Ça a galvanisé la population, le fait d’avoir affronté le pouvoir a donné une fierté. Dans les moments difficiles, c’est une tendance d’avoir un ennemi identifié pour pouvoir s’unir et frapper ensemble.
Pendant le troisième mandat, l’actuel, nous avons aussi beaucoup d’ennemis. La droite Kabyle, le FFS, le RCD, le FLN, des opportunistes, ceux qui ont des intérêts dans le système, qui profitent des deniers publics, du foncier, ces gens nous créent des problèmes. Mais quelles ques soient leurs calomnies, nous sortons vainqueurs parce que leurs mensonges se dissipent rapidement.
Comment la mairie est-elle un outil dans la mobilisation actuelle ?
Dans le contexte actuel, nous avons pu nous démarquer du reste des maires et des assemblées populaires communales et de wilayas. Dès le début, nous avons engagé notre mairie dans le mouvement, avec ses moyens, avec ses bus, l’impression de déclarations et la participation des travailleurs de la commune aux marches. Nous avons également été les premiers à écrire des communiqués officiels annonçant que la commune de Barbacha n’organiserait pas les élections.
Ça donne une double contradiction : la population participe au mouvement mais, en même temps, ils veulent que tous les problèmes soient réglés dans le cadre de ce système. Les slogans sont que le wali, le système doivent dégager, mais en même temps pour obtenir des subventions pour des projets, il fallait passer par la wilaya, par les pouvoirs publics.
Nous avons eu aussi l’occasion d’organiser des conférences, des meetings pour discuter du vrai problème, du système capitaliste, du système rentier, de la corruption et de la nécessité d’un rapport de forces pour dégager le système.
Par rapport à notre expérience et aux élections en France, sans être donneur de leçon, je pense qu’il suffit de ne pas mentir, de dire la vérité au peuple, les difficultés pour pouvoir se développer et la contradiction entre le rejet du système, de l’électoralisme et le fait d’être au côté de la population dans les élections locales et régionales pour accompagner les luttes. Par rapport aux Gilets jaunes, à la loi sur les retraites, dire que les communes que nous pourrions gagner seront à l’avant-garde de ce type de combats. Et arracher des projets pour les communes ou les régions. Faire en sorte qu’au lieu d’enrichir les capitalistes, on les impose, et non pas les salariéEs pauvres, les paysans, etc. Il est important aussi de montrer que ce que nous prévoyons, grâce aux éléments d’analyse que nous avons sur le capitalisme, se produisent en réalité. C’est le cas notamment sur la question écologique, ou sur l’égalité hommes-femmes. Cela donne une légitimité à ce que nous faisons, à notre combat quotidien.
Propos recueillis par Kamel Aïssat (PST) et Antoine Larrache pour le NPA.