Après quelques mois de tergiversations tactiques le gouvernement flamand s’est finalement constitué le 2 octobre 2019. Composé à nouveau des partis N-VA, VLD et CD&V il poursuivra avec encore plus de zèle sa politique néolibérale. Cela ressort clairement de son programme économique et social. Mais il y a plus : il comporte un volet idéologique et culturel nationaliste prononcé, conflictuel et dangereux. Il s’agit, sous la poussée de la N-VA nationaliste-libérale, elle-même propulsée par le succès électoral de l’extrême droite flamande (Vlaams Belang), de forger une identité nationale pour la population vivant dans le nord du royaume. Une guerre culturelle séparatiste se prépare.
Bart de Wever, le chef de la N-VA et Jan Jambon, ministre-président flamand, sont des séparatistes convaincus, rêvant d’une Flandre indépendante au sein de l’Union européenne. Mais le problème de la N-VA et du nationalisme flamand en général, c’est que les Flamands ne se sentent pas assez flamands et ne s’identifient pas avec le nationalisme séparatiste. Ils ont toujours, plus ou moins et à des degrés divers, le sentiment d’être Belges, ou plutôt d’appartenir à une entité étatique et culturelle qu’est la Belgique, née en 1830, et ceci malgré les différences culturelles qui les séparent des francophones. Bart De Wever a beau dire que les Flamands, puisqu’ils ont voté dans leur majorité pour la N-VA et le VB, sont anti-belges et séparatistes ; en réalité ils ont voté pour des raisons très diverses, dont la peur de l’immigration, le dégoût de la politique des élites (qui se poursuit dans le nouveau gouvernement) ou, plus concrètement, pour le programme social « de gauche » de l’extrême droite.
Plusieurs mesures du programme culturel gouvernemental expriment cette offensive idéologique nationaliste et identitaire. Les chrétiens-démocrates du CD&V et les libéraux du VLD ont vendu leur âme à cette offensive, car ils veulent coûte que coûte participer au pouvoir.
Le « Canon Historique », levier identitaire
Il s’agit d’abord d’introduire dans l’enseignement une liste des faits historiques mémoriaux de l’histoire « flamande », dont la jeunesse sera imprégnée pour se sentir fière d’être Flamand, une fierté qui aujourd’hui, ne préoccupe pas leur esprit. Ce canon sera établit par une commission dite « scientifique ». Mais un tel canon est, comme tout projet national(iste), de nature idéologique et donc non-scientifique ; d’autant plus qu’on se demande quel.le historien.ne scientifique osera se brûler les doigts à un tel projet.
Un tel canon, dont on sait qu’il a peu d’intérêt didactique, n’est qu’un levier identitaire, instrument d’endoctrinement nationaliste. Il suggère que sans lui une conscience historique n’est pas possible. L’historien Marc Reynebeau remarque que la coalition gouvernementale « qui prétend servir le sentiment de communauté, attise ainsi autour de l’histoire flamande une atmosphère de menace et de conflit ». Un autre projet semblable est la promesse d’un « musée historique flamand ». Et last, but not least, il y a le choix des écharpes que portent les bourgmestres flamands. Ils auront le choix entre une écharpe flamande aux couleurs noir et jaune, et une écharpe aux couleurs belges, noir, jaune et rouge. Marc Reynebeau : « Ainsi, l’écharpe n’est plus un symbole de la communauté politique sur la scène de l’État, mais au contraire un signe politisé, qui produira parmi les bourgmestres une polarisation entre les belgicistes acharnés et les flamingants fanatiques. » Dans son projet séparatiste Bart De Wever louvoie au plus près du vent : il rejette le VB comme non-démocratique et raciste, mais quand celui-ci lui vole beaucoup de voix comme le 26 mai dernier, il le présente comme respectable. Quant au sujet du « canon national», il déclarait en 2002 dans le quotidien De Standaard, que c’est un procédé typique des régimes autoritaires.
Vers un enseignement élitaire
Autre volet de l’offensive idéologique, l’enseignement.
Ici, on assiste clairement à un tour de vis droitier et rétrograde. Le décret « M » qui avait été adopté par le gouvernement précédent pour augmenter les possibilités d’intégration des élèves ayant des besoins spécifiques (handicaps physiques ou mentaux) au sein dans l’enseignement dit « normal », accompagnés si nécessaire d’adaptations à leur besoins spécifiques en classe, est simplement aboli. Ce décret était une réponse à la critique que l’enseignement flamand est le moins inclusif de tous les systèmes en Europe ! La N-VA l’annule et propose d’instaurer un accompagnement « pragmatique » pour chaque élève.
Dans le secondaire, les divisions entre ASO (formation générale menant à l’université), TSO (enseignement technique) en BSO (enseignement professionnel) sont maintenues voir même renforcées. L’orientation vers une de ces divisions doit être la plus précoce possible car la Flandre a besoin de plus de diplômés qui soient adaptés au marché du travail.
Le reste de l’accord gouvernemental parle principalement de bonnes intentions (plus de moyens pour les écoles maternelles, du respect pour les directions et les enseignants …) ou de l’importance de la connaissance d’un néerlandais « riche ».
La réévaluation de la fonction de l’enseignant.e sera possible par une diminution des tâches administratives, le renforcement du contact avec les parents, etc.
Dans l’enseignement officiel (Gemeenschapsonderwijs GO), on pourra choisir de n’avoir qu’une heure de religion au lieu des deux heures actuelles, la seconde heure devant traiter des différentes religions et visions du monde. Tout cela ne coûtera rien évidemment.
Dans le supérieur, l’accent est mis sur l’efficacité, sur une séparation plus affirmée entre l’universitaire et le non- universitaire (différence renforcée entre bachelor et master).
Le texte veut répondre aux critiques des réformes pédagogiques en mettant soi-disant l’accent sur le cognitif et non sur le bien-être des élèves.
Bref, le nouveau gouvernement flamand veut répondre à toutes les critiques droitières auquel la N-VA était confrontée la période précédente.
Le CD&V, pour qui l’enseignement catholique (80% des écoles secondaires en Flandre !) était depuis toujours « son » domaine par excellence, laisse le ministère à la N-VA, Ben Weyts, le nouveau ministre de l’enseignement ne jouera qu’un rôle de transmetteur des idées de Jambon et de Francken.
Qu’attendent les enseignant.e.s et leurs syndicats pour réagir contre cette offensive de la droite ?
Les nouveaux venus parasitaires
Le gouvernement ajoute aux « Wallons fainéants » qui profitent des richesses produites par les diligents travailleurs flamands, les « nouveaux venus parasitaires ». Ceux-ci devront se contenter de moins. Première grande mesure, le gouvernement se retirera d’UNIA. La Flandre n’a pas besoin de ce centre fédéral pour maintenir les mesures antidiscriminatoires, « qui peuvent aussi bien être maintenues dans l’enseignement, les sports ou l’assistance sociale en Flandre». Cette mesure ne figurait pas dans le programme de la N-VA, mais bien dans celui de VB ! Il s’agit donc d’une concession opportuniste à l’extrême droite, acceptée par les chrétiens-démocrates et les libéraux-humanistes. L’accord entre le gouvernement et le Forum des minorités (Minderhedenforum) sera supprimé et son subventionnement aboli en 2020, tandis que l‘homme de choc de la N-VA, Theo Francken, annonce la création d’une nouvelle organisation participative qui mettra l’accent sur « l’inclusion ».
Les cours d’intégration civile (inburgering) coûteront €360 (€180 pour l‘inscription et deux fois €90 pour les examens de Néerlandais). Ceux qui ne réussissent pas devront les refaire et les repayer.
Les signes religieux et politiques seront interdits dans le « contact direct avec les clients » dans les services, mais les communes pourront établir leurs propres règles, tout comme les instituts de l’enseignement libre (catholique, juif et musulman), mais dans l’enseignement de l’État et provincial le port du foulard est interdit.
Les demandeurs d’asile ne recevront plus les allocations familiales pendant la procédure de reconnaissance. Seuls celles et ceux qui vivent depuis cinq ans sans interruption en Flandre pourront bénéficier de l’aide sociale, un renforcement des règles ultérieures. Chaque fois que des réfugiés reconnus (!) déménagent vers une autre communes leur période d’attente pour obtenir un logement social recommence à zéro. À propos des communautés religieuses locales (islamiques s’entend), elles perdent leur reconnaissance quand elles « s’opposent à notre modèle de société ».
De nouveau les valeurs dont se targuent le CD&V (la charité et miséricorde) et le VLD (l’humanisme libéral) sont bafouées. Leur participation à ce gouvernement réactionnaire dont les chefs Bart de Wever, Theo Francken en Jan Jambon qui semblent se préparer à gouverner avec le Vlaams Belang en 2024, minent la démocratie parlementaire en faveur de la droite populiste et extrême, ou préparent tout simplement un régime autoritaire élu démocratiquement.
Le mouvement flamand à la recherche d’une nouvelle légitimité
Né de l’oppression culturelle par la bourgeoisie et les classes moyennes francophones, le mouvement flamand a lutté pour des droits démocratiques. Sa légitimité politique et sociale a disparu dès que ces demandes furent obtenues à partir de l’instauration de l’autonomie culturelle. Mais les forces séparatistes qui ont leur origines dans le parti fasciste Vlaamsch Nationaal Verbond (VNV, 1933-1945) et qui resteront actives dans le parti petit-bourgeois qu’était la Volksunie (VU, 1954-2001), dans le Vlaamse Volksbeweging (VVB, Mouvement populaire flamand) et dans un nombre de petites organisations de la droite flamande, sont réapparues en force avec la constitution la nouvelle alliance flamande, la N-VA, en 2001. La N-VA doit fonder son nationalisme flamand sur des bases nouvelles. La détérioration économique et sociale de la Wallonie, qui a besoin de la solidarité d’une Flandre nouvellement industrialisée, était selon les nationalistes flamands un frein financier au développement continué de la Flandre. L’idéologie séparatiste est devenue l’instrument pour donner de l’oxygène à un mouvement flamand moribond et de gagner une masse électeurs. Mais l’idée d’une Flandre indépendante vit aussi dans la tête des dirigeants de la N-VA et du VB, influencés qu’ils sont par des idées romantiques nationalistes rétrogrades. Bart De Wever n’est pas seulement un admirateur du penseur conservateur Edmond Burke, mais s’est formé aux études sur le nationalisme des petits peuples européens de l’historien tchèque Miroslav Hroch. Celui explique entre autres comment des « patriotes » ont lutté contre l’indifférence des populations au idées nationalistes dans l’Empire habsbourgeois et en Italie.
Le soi-disant « confédéralisme », tout vague qu’il est, semble un moyen tactique vers cette indépendance de la Flandre. Dans ce cas la Wallonie tombera politiquement et économiquement sous l’autorité des besoins économiques d’un patronat qui a sa base réelle en Flandre. La Wallonie sera, grâce entre autres à une sécurité sociale séparée, un réservoir de travailleurs à bon marché. La N-VA est l’agent politique de l’organisation patronale flamande VOKA, successeur du Vlaams Economisch Verbond (VEV) qui vit le jour en 1908 sous la direction des premiers patrons flamingants.