De Mona Chollet. Éditions Zones/La Découverte, 232 pages, 18 euros.
Le nouvel ouvrage de la journaliste Mona Chollet, qui fait suite aux remarqués (et remarquables) Beauté fatale (2012) et Chez soi (2015), vaut le détour. Le pitch ? C’est l’auteure qui l’explique le mieux : « En anéantissant parfois des familles entières, en réprimant sans pitié certains comportements et certaines pratiques désormais considérées comme intolérables, les chasses aux sorcières [des 16e et 17e siècles] ont contribué à façonner le monde qui est le nôtre. Si elles n’avaient pas eu lieu, nous vivrions probablement dans des sociétés très différentes. Elles nous en disent beaucoup sur les choix qui ont été faits, sur les voies qui ont été privilégiées et celles qui ont été condamnées. »
Sorcières d’hier et d’aujourd’hui
Ni histoire des chasses aux sorcières ni livre de sorcellerie (même si certains réacs le considéreront peut-être comme tel), l’ouvrage de Mona Chollet est un essai résolument féministe, qui entreprend de démontrer que le phénomène (de masse) des chasses aux sorcières ne fut pas un accident de l’histoire ou le produit de la folie de quelques intégristes religieux, mais « un déchaînement de violence né d’une peur devant la place grandissante que les femmes occupaient alors dans l’espace social. » La construction de la figure de la sorcière, à partir du 15e siècle, participe de l’affirmation d’une misogynie, voire d’un anti-féminisme « modernes », qui marqueront durablement nos sociétés, à un point tel que nombre de mécanismes les plus actuels de stigmatisation et de relégation des femmes trouvent leur source dans la figure honnie de la sorcière.
Telle est la principale force du livre de Mona Chollet : montrer que le sexisme et le patriarcat contemporains s’inscrivent dans une longue tradition de chasse aux sorcières, le tout sans raccourci ni caricature. Femmes célibataires, femmes âgées et veuves, femmes refusant d’avoir des enfants : surreprésentées parmi les « sorcières » victimes des violences des 16e et 17e, ces figures demeurent aujourd’hui encore les cibles des discours et des pratiques sexistes et misogynes, tant elles sont en rupture avec les codes convenus de la « féminité », refusant d’être subordonnées à un homme et/ou de remplir les rôles assignés aux femmes.
L’ouvrage foisonne de sources (féminines) et de références, de la littérature aux médias en passant par la pop culture, qui donnent à l’ensemble une puissance, teintée d’humour, qui fait mouche. Et, alors que l’identité de « sorcière » est réappropriée par divers groupes féministes face à tous les réacs de la planète, Mona Chollet le revendique : « Aller débusquer, dans les strates d’images et de discours accumulés, ce que nous prenons pour des vérités immuables, mettre en évidence le caractère arbitraire et contingent des représentations qui nous emprisonnent à notre insu et leur en substituer d’autres, qui nous permettent d’exister pleinement et nous enveloppent d’approbation : voilà une forme de sorcellerie à laquelle je serais heureuse de m’exercer jusqu’à la fin de mes jours. »
Publié sur le site du NPA.