Avec trois autres membres du comité Charleroi Solidarité Migrant.e.s, j’ai assisté, le 22 juin, à la séance d’information des riverain.e.s du futur centre fermé pour étranger.e.s de Jumet. La réunion était convoquée par l’Office des étrangers. A la tribune, une dizaine d’officiels de l’Office, du cabinet de Théo Francken et de la Régie des bâtiments, ainsi que les directeur et vice-directeur du centre fermé de Vottem. Dans la salle, une bonne trentaine de personnes des rues adjacentes à la caserne de police sur le territoire de laquelle le centre devrait être érigé (à partir de 2020). La presse n’était pas invitée – on va voir que ce n’est probablement pas un hasard.
Le directeur de l’Office des étrangers, Freddy Roosemont, présidait la séance. Sur un ton bonhomme, il déclara brièvement que la réunion avait pour but « d’impliquer les riverain.e.s » pour que celleux-ci comprennent que les centres fermés n’occasionnent « aucune difficulté » ni désagrément (« Ce n’est pas une prison », eut-il le culot de déclarer), alors qu’ils sont « bons pour la sécurité, pour le commerce et pour l’emploi local ». Du win-win-win, quoi. « Et après la séance, surtout si vous avez soif, on continue à discuter à la buvette », dit-il. Monsieur le directeur est proche du peuple…
L’exposé proprement dit fut le fait du directeur et, surtout, du vice-directeur du centre fermé de Vottem. Celui-ci, Didier Staessens, commença par expliquer la différence entre un centre ouvert – les résident.e.s sont libres de circuler – et un centre fermé – les résident.e.s ne sortent généralement que pour retourner dans leur pays, vu qu’iels ont reçu un ordre de quitter le territoire (OQT). Il rappela ensuite la décision prise en octobre 2014 par le gouvernement fédéral de faire passer le nombre de places en centres fermés de 471 à 1129 en huit ans, afin de mener « une politique de retour de qualité, humaine et durable » (sic).
Le cadre étant ainsi posé, M. Staessens, joua successivement toutes les cartes possibles: la criminalisation des migrant.e.s, la sécurité des riverain.e.s (et de la population en général), la discrétion du futur centre, son intégration à l’environnement, son architecture « verte », l’attention portée au bien-être des résident.e.s, le respect de la biodiversité (si si!), l’absence de nuisances pour le quartier, l’impact insignifiant sur la circulation, les opportunités pour les PME locales et, last but not least, la création d’emplois de proximité. Un inventaire à la Jacques Prévert. Le vice-directeur de Vottem est poète à ses heures.
« 30% de criminels »
D’emblée, on souligna que le centre de Jumet ne répondait pas seulement aux nécessités de la politique d’asile fédérale, mais aussi à certains besoins locaux. « Dans la zone de police de Charleroi, déclara Staessens, on dénombre huit cents ordres de quitter le territoire, dont un tiers sont donnés à des personnes qui ont été interpellées pour menace à l’ordre public : trafic de stupéfiants, vols, coups et blessures »…
Cette entrée en matière faisait écho aux affirmations de Paul Magnette, qui – pour ne pas donner l’impression de collaborer à la politique de Théo Francken, sans doute ?- déclarait il y a quelques mois que le centre de Jumet serait strictement réservé à des sans-papiers « délinquant.e.s »… Tout en précisant que cette questions est de la compétence exclusive du pouvoir fédéral. Le bourgmestre de Charleroi est expert dans l’usage du parapluie.
Paradoxalement, commentant quelques instants plus tard le plan des installations, le vice-directeur fit remarquer que Jumet, contrairement à Merksplas et Vottem, ne compterait aucune « aile spéciale » sécurisée. « Jumet devrait recevoir des personnes tout à fait normales », déclara-t-il. Alors, de deux choses l’une : soit M. Staessens considère « tout à fait normal » que les étranger.e.s sans papiers soient des trafiquant.e.s de drogue, des voleu.r.se.s et des violeurs (comme un certain Donald Trump), soit… la suggestion que le centre permettrait de débarrasser Charleroi des « menaces à l’ordre public » relève tout simplement de la manipulation populiste. J’y reviendrai en conclusion.
« Relativement familial »
Le paradoxe devint encore plus frappant lorsque l’orateur se mit à détailler le soin apporté, selon lui, au bien-être physique et psychologique des résident.e.s. Salle de fitness, salle informatique, chambrées pour quatre personnes avec douche, toilette, lavabo et kitchenette, chambres individuelles « pour les résident.e.s qu’il faut séparer du groupe, parce qu’iels ronflent par exemple » (sic), accompagnement psychologique, activités communes, environnement de verdure, etc.
« C’est relativement familial », n’hésita pas à conclure le directeur de Vottem. Et Jean-François Jacob d’expliquer sur le ton de la fausse compassion que les résident.e.s vivent un moment difficile : le séjour au centre vise à « vérifier si les personnes sont en ordre de papiers » mais, si ce n’est pas le cas, « elles devront retourner dans leur pays ». C’est un moment difficile pour ces personnes, il faut leur expliquer, cela demande beaucoup de psychologie. « Le dialogue, c’est notre force ». Le directeur est du genre Tartuffe.
La « force du dialogue »… forcé
Les paroles mielleuses sur la « force du dialogue » ne dissimulent pas la force tout court : groupes de trente résident.e.s, enfermé.e.s dans des ailes séparées, disposant chacune d’un patio extérieur pour les « promenades », le tout entouré d’une première clôture, puis d’un « chemin de contournement » (ambiance familiale oblige, on ne dit pas « chemin de ronde »), puis de deux clôtures de quatre mètres de haut, sous surveillance électronique. Je sais évidemment qu’un centre fermé n’est pas un camp d’extermination nazi. Il n’est pas question de tomber dans des comparaisons de ce genre. Pourtant, en voyant la diapositive présentant le « chemin de contournement » et les clôtures, je n’ai pas pu m’empêcher de me demander si les riverains d‘Auschwitz aussi avaient été conviés à une « séance d’information »…
A l’intérieur, les chiffres, eux, ne mentent pas. Deux psychologues seront affecté.e.s à la « force du dialogue » et plus des deux tiers du personnel à la force tout court : septante-deux « collaboratrices/eurs de sécurité », cinquante-cinq « accompagnatrices/eurs de sécurité » et dix coordinatrices/eurs de sécurité ». « La présence de la caserne de police à côté du futur centre augmente la sécurité ».
Ecologique et bon pour l’emploi!
Les « relations familiales » seront du genre « soumets-toi ou je cogne ». Mais rassurez-vous, bonnes gens: on ne verra rien de la rue, tout sera entouré d’un maximum de verdure. « Nous gardons les arbres existant sur le site, certains sont importants du point de vue de la biodiversité », commenta M. Staessens.
Continuant sur la fibre écologique, l’orateur nous invita à admirer « l’harmonie architecturale » du futur édifice, son intégration astucieuse au relief du terrain, et la haute conscience écologique des conceptrices/eurs : entièrement équipé de panneaux solaires photovoltaïques et thermiques, le « centre pour illégaux » de Jumet sera un modèle de durabilité et de « stratégie green ». « C’est un bâtiment relativement transparent ». Confirmation : le vice-directeur est poète à ses heures…
Dans une région sinistrée comme celle de Charleroi – la fermeture de Caterpillar est dans toutes les mémoires – le bouquet final devait évidemment être placé sous le signe de l’emploi. Beaucoup d’emplois non qualifiés, messieurs-dames, avec priorité aux candidat.e.s de la région. Et de détailler les niveaux, les chances de promotion, la stabilité de la fonction, etc, etc.
Le vrai visage de Freddy Roosemont
La « séance d’information » était prévue pour nonante minutes. Après plus d’une heure d’exposé-bourrage de crâne, la parole fut donnée aux personnes présentes. Quelques-un.e.s d’entre nous intervinrent sur le fond de la question. C’est alors que Monsieur Roosemont montra son vrai visage en pleine lumière.
Le directeur de l’Office commença par balayer d’un revers de main et avec mépris une question sur le coût comparé des centres ouverts et des centres fermés, puis tourna en dérision les manifestant.e.s de Vottem (« Ils ne sont plus qu’un ou deux toutes les semaines », ricana-t-il).
Interpellé sur l’incarcération d’enfants et l’occupation des « pavillons pour familles » du 127 bis, il répliqua que les familles concernées échoueraient là de leur faute, après avoir refusé quatre fois la générosité de l’Etat belge.
L’auteur de ces lignes choisit de poser une question faussement innocente : s’adressant aux responsables de Vottem, qui avaient tant insisté sur la proportion de sans-papiers coupables de trafic de drogue, vols et violences (un tiers à Charleroi, avaient-ils affirmé), il leur demanda quelle proportion des résidents de Vottem ont ce profil criminel, et combien d’entre eux sont originaires d’un pays de l’Union européenne?
M. Jacob fit une moue qui signifiait « Je ne sais pas » et bredouilla qu’il y avait, en plus des criminels avérés, une « zone grise » de personnes dont on ne sait pas si elles ont commis des crimes ou pas ! … Le manque de précision de cette réponse faisait tache. M. Roosemont accourut à la rescousse en affirmant péremptoirement que la proportion de criminels à Vottem est de 30% également. Je parierais qu’il a sorti ce chiffre de son chapeau, en profitant de l’absence de journalistes. M. le directeur de l’Office semble ne pas reculer devant le mensonge.
Information ? Non, propagande!
Ce n’est pas une «séance d’information » qui s’est déroulée le 22 juin à Jumet, mais une séance de propagande en faveur de la politique brutale et inhumaine de Théo Francken, Charles Michel et Cie. Certes, il ne fut pas dit explicitement que les migrant.e.s en général sont des criminel.le.s. Il ne fut pas dit explicitement que l’Etat belge est trop bon de dépenser l’argent du contribuable pour traiter ces « illégaux » (ces « hors-la-loi ») avec tant d’égards. Il ne fut pas dit explicitement que la déclaration européenne des droits humains doit être « contournée, ni qu’on pourrait créer encore plus d’emplois en créant encore plus de centres fermés où boucler ces dangereux étrangers… Il ne fut pas dit explicitement non plus (mais presque!) que Jumet a l’avantage d’être loin de Bruxelles et de ses agitateurs professionnels. Mais tout cela fut suggéré. Très clairement suggéré.
Tellement clairement suggéré que l’extrême-droite n’a plus qu’à formuler tout haut ses « conclusions » racistes et démagogiques. Les représentant.e.s de l’Etat leur déroulent un tapis rouge-brun.