Nicolás Maduro a été réélu président du Venezuela le 20 mai 2018. Mais le moins que l’on puisse dire est que cette réélection est, contrairement aux apparences, un mauvais résultat pour le successeur de Chávez.
Pour cette élection présidentielle, quatre candidats avaient été retenus par le Conseil national électoral. Outre Maduro, on trouvait Henri Falcón, ancien chaviste de la première heure (il avait été membre du Mouvement bolivarien révolutionnaire avec Hugo Chávez) qui, après avoir rompu avec le chavisme en 2010, avait décidé de créer Avanzada Progresista en 2012, parti qui a intégré la coalition de l’opposition de droite. Mais difficile d’être crédible pour un candidat qui demande dans son programme l’aide du FMI, ennemi juré de la « révolution bolivarienne »… Les deux autres candidats, de moindre envergure nationale, étaient Javier Bertucci, ancien pasteur évangéliste et homme d’affaires cité dans les Panama Papers, et Reinaldo Quijada, représentant un courant de gauche issu du chavisme.
La MUD, regroupement des principaux partis d’opposition, avait été écartée de l’élection par décision du Tribunal suprême de justice du 25 janvier 2018. Son principal représentant, Henrique Capriles Radonski, avait déjà été condamné à quinze ans d’inéligibilité le 7 avril 2017, suite à son implication supposée dans l’affaire Odebrecht, vaste réseau de corruption à l’échelle du continent latino-américain découvert au Brésil dans le cadre d’une autre affaire de corruption, celle de Pétrobras.
Vu les obstacles pour empêcher les candidatures des principaux partis d’opposition, la MUD a décidé de boycotter les élections. Seule une fraction de celle-ci, autour d’Avanzada Progresista, du COPEI (parti historique du Venezuela créé en 1946) et de quelques petites organisations, a décidé d’y participer en présentant la candidature d’Henri Falcón.
Un mauvais résultat pour Maduro
Le président en activité a obtenu 6,2 millions de voix en 2018 contre 7,6 millions en 2013. Falcón recueille 1,9 millions de suffrages, Javier Bertucci, presque un million et Reinaldo Quijada moins de 40 000. La participation n’a été que de 46% contre près de 80% à la précédente élection présidentielle de 2013.
Ce résultat de Maduro est mauvais pour plusieurs raisons.
D’abord, en rapportant son résultat aux nombre d’inscritEs, Maduro est élu par seulement 28% des inscritEs, score de loin le plus faible depuis la première élection de Chávez en 1998.
Ensuite, les partisans de Maduro ont veillé pendant toute la durée d’ouverture des bureaux de votes à amener les électeurEs, notamment ceux qui travaillent dans les administrations, sans réussir à dépasser la barre des 50% de votantEs.
Une arme redoutable a pourtant été utilisée pour convaincre les électeurEs d’aller voter : le Carnet de la patrie. Créé en 2017 comme une sorte de carte d’identité sociale, il regroupe les données individuelles de son ou sa propriétaire, comme les revenus, les droits et les inscriptions aux missions sociales. Le jour de l’élection, devant chaque bureau de vote, ce sésame était demandé au stand du « point rouge », tenu par des chavistes, en échange d’un panier de denrées. Ces carnets donnent aussi accès aux CLAP (comités locaux d’approvisionnement), gérés par le pouvoir, qui distribuent des aliments de base à la population en cette période de pénurie dramatique. Pour unE VénézuélienE, ne pas voter présentait un risque d’être « blacklisté ».
Malgré cette pression, plus de la moitié des électeurEs ne se sont pas déplacés aux urnes. Les électeurEs semblent davantage préoccupés par les longues heures d’attente qu’ils doivent effectuer tous les jours devant des magasins à la recherche de nourriture ou de médicaments. Mais cela traduit aussi un désintérêt largement majoritaire dans la population pour des promesses électorales bien éloignées du vécu quotidien. Ni l’opposition de droite ni les chavistes ne semblent crédibles pour résorber la crise.
La faiblesse du résultat de Maduro a également des implications dans son propre camp. Depuis quelques années, notamment depuis la mort de Chávez, il a cherché à organiser son propre courant de fidèles, loin de la garde rapprochée d’Hugo Chávez. Pour l’élection de la présidence à l’Assemblée nationale constituante en 2017, il a ainsi poussé Delcy Rodriguez contre le candidat pressenti Diosdado Cabello. Puis il s’est appuyé sur le mouvement Somos Venezuela pour le transformer en parti politique en janvier 2018, encadré par ses proches. Cette volonté de contourner le parti de Chávez, le PSUV (Parti socialiste uni du Venezuela), sur lequel il n’a pas la main, est une opération rendue plus délicate par ce faible score.
Car, même si Maduro est présenté par les médias occidentaux comme le « Diable », il existe un véritable débat d’orientation entre lui, plus enclin à chercher un compromis, et Diosdado Cabello, partisan d’une plus grande fermeté contre l’opposition. Dès le soir du résultat, le nouveau président s’est adressé aux autres candidats ainsi qu’aux dirigeants de l’opposition pour les convier à une grande réunion de dialogue national, restreinte le lendemain aux seuls participants à l’élection. Mais il n’est pas sûr qu’il reçoive une réponse positive comme le montre la première déclaration de Falcón à l’annonce de son score où il proclame qu’il ne reconnait pas cette élection, assurant avoir enregistré avec son équipe 142 589 irrégularités, et exigeant un nouveau scrutin.
Pourquoi un tel désintérêt pour ces élections ?
Depuis 2014, le Venezuela a été frappé par une grave crise économique qui trouve ses racines dans le modèle de croissance imposé par le régime. Fondé sur la seule exploitation des hydrocarbures, dont les revenus fournissent l’essentiel des financements des programmes sociaux, ce modèle rentier a volé en éclat avec la chute des prix du baril de pétrole. La crise ouverte a été exacerbée par la faiblesse du tissu économique vénézuélien. La plupart des marchandises sont importées car les ressources du pétrole n’ont pas été utilisées pour moderniser le tissu industriel et agricole. Si elles ont légitimement financé les aides sociales, elles ont aussi et surtout financé la corruption.
Depuis, le gouvernement a choisi la fuite en avant en pratiquant un extractivisme outrancier où les ressources du sous-sol sont promises à une exploitation faisant peu de cas des droits des populations, des salariéEs travaillant dans les entreprises minières et pétrolières, ou de l’environnement. C’est principalement le cas avec la récente adoption de la loi de protection des investissements étrangers, dénoncée par l’écrivain chaviste Luis Britto Garcia comme une « loi du lobby néo-libéral », précédée de celle qui permet la création de zones économiques spéciales dérogeant aux droits constitutionnels.
Sur le plan monétaire, la parité multiple du bolivar a fait exploser la spéculation sur la monnaie permettant aussi bien au patronat qu’à la bolibourgeoisie, fraction de la bourgeoisie issue du pouvoir chaviste, de réaliser des fortunes colossales, le tout dans un environnement économique où le secteur privé est largement dominant, notamment dans le secteur bancaire.
En quelques années, le Venezuela s’est trouvé plongé dans une telle crise que les acquis sociaux des premières années du chavisme sont balayés par la pénurie des aliments et des médicaments ou par la vétusté des services publics.
L’inflation est de plusieurs milliers de % et les augmentations de salaires sont loin de la rattraper. Et ce ne sont pas les réponses de la droite qui peuvent attirer les électeurEs. Entre des promesses de mesures d’austérité, les demandes « d’aide » au FMI et des politiques de contraction des missions sociales, rien de bien enthousiasmant pour un peuple qui a déjà connu de telles mesures, notamment dans les années 1980/1990.
Mais si la droite ne convainc pas, les partis chavistes non plus. Malgré les annonces gouvernementales quotidiennes d’un complot étatsunien comme seule explication de la crise, les VénézuélienEs ne sont pas dupes. Ils constatent, chez les dirigeants des entreprises publiques, dans les institutions et l’armée, le développement d’une bourgeoisie qui s’enrichit et qui profite de la ruine du pays.
Dans un panorama aussi sombre, il est tout à fait compréhensible que s’effrite la base sociale du régime, ce qui se mesure par le fort taux d’abstention et la faiblesse du nombre d’électeurEs qui ont voté Maduro.
Article paru sur le site du NPA.