À la fois malgré et en raison du contexte économique, social et de santé, le 8 mars 2021 fut une journée combative ! Quelques rassemblements ont été empêchés ou fort limités par les pouvoirs locaux mais ce sont tout de même plusieurs milliers de femmes et genres minorisés qui se sont mobilisées à travers le pays. Le caractère inter-régional, en contact avec les syndicats et global du mouvement qui s’est construit depuis plus de trois ans autour de l’appel à des grèves féministes des femmes, favorise certainement sa vitalité.

Et pourtant, le contexte est également difficile pour la mobilisation. L’appel à la grève du Collectif.e.f 8 maars n’a pu sortir que tardivement fin janvier, c’est aussi seulement à la mi-février que la CNE d’abord (la centrale nationale des employé.e.s du syndicat chrétien du côté francophone) et l’ensemble de la FGTB-ABVV (le syndicat socialiste au niveau fédéral) ensuite ont annoncé un préavis de grève. On le sait, les préavis ne se traduisent pas par une mobilisation conséquente et une indemnité de grève doit parfois être re-négociée centrale par centrale. La mobilisation effective reste tributaire de déléguées, d’affiliées et de permanentes féministes convaincues et des interpellations du mouvement féministe autonome. L’interconnexion des luttes féministes et ouvrières reste un enjeu clé. D’un autre côté, dans le mouvement féministe, la stratégie de la grève du travail salarié, du travail reproductif, de la consommation et des études n’est pas défendue unanimement non plus, même s’il devient de plus en plus difficile d’assumer une position défavorable ou silencieuse. À ce titre, on peut noter que pour la première fois, le communiqué de Vie Féminine (le plus grand mouvement “féminin” francophone de Belgique lié au mouvement ouvrier chrétien) soutenait l’appel à la grève. 

Feminisme Yeah ! (la commission féministe en non-mixité de genre de la Gauche anticapitaliste) continue de prendre part au mouvement en défendant un féminisme anticapitaliste, antiraciste et révolutionnaire dans son analyse comme dans ses stratégies d’action. En plus de l’activité syndicale de plusieurs de nos membres et de la mobilisation dans nos secteurs d’activité, de notre encrage et de notre participation active dans les mouvements féministes autonomes depuis des années, nous avons aussi contribué à la création d’alliances entre plusieurs collectifs féministes sur la thématique du droit à l’avortement en réaction à la formation du gouvernement Vivaldi (1)lire : IVG : Bas les pattes ! Nos ventres ne se négocient pas !

Voici un rapide tour de quelques actions dans différentes villes :

Anvers

Le collecti.e.f 8 Maars – Anvers a mené simultanément une action pour les droits des femmes à 3 endroits différents.

Sur la Sint-Jansplein, la revendication principale de ce rassemblement portait sur le salaire minimum de 14€ de l’heure, une pension de 1500€ minimum : tout le monde en profiterait, mais surtout les femmes et genres minorisés, qui sont en moyenne plus précarisées que les hommes.

La place De Coninckplein a été rebaptisée pour l’occasion : la place Es ahora, d’après le slogan des femmes argentines qui ont récemment obtenu le droit à l’avortement après des dizaines d’années de lutte. L’occasion de rappeler les revendications concernant l’avortement et la loi enterrée par le gouvernement Vivaldi en Belgique. Les actions menées sur cette place s’inscrivaient également dans le cadre de la lutte contre le sexisme et les violences. Il y avait une intervenante de Baas Over Eigen Hoofd (BOEH), qui a parlé de leur combat contre l’interdiction du voile, plusieurs témoignages impressionnants de Sofie, Marieke et Marylin sur leur expérience des violences sexistes et sexuelles en tant que jeunes femmes et enfin Punt vzw qui a fait un discours puissant sur les choses concrètes qui doivent changer pour endiguer les violences sexistes et sexuelles, en dix points revendicatifs(2)https://www.bloomforchange.be/. La violence sexuelle, la violence entre partenaires, le harcèlement sexuel au travail, et les féminicides (meurtres de femmes parce qu’elles sont des femmes), dont on dénombre déjà 7 cas en 2021(3)http://stopfeminicide.blogspot.com, doivent être combattus avec beaucoup plus de vigueur. Les femmes à ce rassemblement se sont exprimées sur l’échec des politiques de prévention et les manques de moyens. 

Sur la place de l’Opéra, les revendications portaient sur de meilleurs services publics et de plus de travailleuses dans les soins. La place a donc été rebaptisée « Place des héroïnes ». La crise a montré une fois de plus combien nos services publics sont essentiels. Des services de garde d’enfants suffisants, abordables et accessibles, la fin des listes d’attente et davantage de main-d’œuvre dans les services de garde : les différent.e.s intervenant.e.s ont plaidé en ce sens.

Enfin, le personnel de nettoyage de l’Université d’Anvers a organisé une action devant les bâtiments de l’université contre l’augmentation des cadences de travail pour un moindre salaire décidée par leur employeur ISS. 

Louvain

Il y a eu un rassemblement féministe sur la Martelarenplein à Louvain, organisé par Rosa, Women In Black, le Collecti.e.f 8 maars – Leuven et le cercle féministe de la KULeuven. Ce rassemblement a attiré environ 300 personnes. 

Gand

Il y a eu plusieurs actions dispatchées dans toute la ville : une action à l’UGent, une action avec les grévistes de Sidmar (aciérie belge appartenant à Arcelor Mittal), des actions symboliques dans les maisons médicales, des grèves et arrêts de travail dans les crèches ou les garderies périscolaires. A Sidmar et à l’UGent, ce fut une journée de grève et d’action féministe plus que réussie. Au total, il y a eu au moins 1200 participant.e.s à travers toute la ville. 

Les actions du Collecti.e.f du 8 maars – Gent furent également réussies. Trois rassemblements étaient organisés à trois endroits différents, et les manifestant.e.s sont venu.e.s en nombre ! Sur la Sint-Baafsplein, Marijke Colle de Féminisme Yeah ! (SAP – Antikapitalisen) et le collecti.e.f 8 Maars ont pris la parole à propos de la lutte pour la légalisation de l’avortement.

Mons et Charleroi

150 personnes se sont réunies sur la place principale de Mons à l’initiative du Collecti.e.f 8 maars – Mons, la Mutinerie montoise, Comac et Vie Féminine Centr’Hainaut. À Charleroi se sont plus de 500 personnes mobilisées avec une présence syndicale en front commun (CSC-FGTB) et l’activité de la plateforme Femmes de Mars. 

Bruxelles…

Des actions et de rassemblements étaient prévus à travers toute la capitale. Féminisme Yeah ! a organisé trois équipes de soutien aux différentes actions pendant toute la journée. Cette année encore, il faut saluer la démarche du Collecti.e.f 8 maars – Bruxelles qui a organisé un planning des différents piquets de grève et des différentes actions pour permettre la présence et la solidarité concrète. Un tour en bus (pour les personnes à mobilité réduite, les enfants et l’équipe médiatique) ainsi que plusieurs tours à vélo ont permis de faire la jonction et de rassembler les voix.  Voici un retour non exhaustif de différentes actions : 

À l’ULB sur le campus du Solbosch, les étudiantes et les travailleuses ont organisé un piquet de grève ainsi qu’un rassemblement à 12h. Plus ou moins 300 personnes étaient présentes et des femmes ont pris la parole pour dénoncer les inégalités de genre dans l’enseignement. 

Devant la Colonne du Congrès, l’ASBL Garance a manifesté sa colère face aux manques de moyens structurels alloués à la prévention des violences sexistes et sexuelles. 

Le planning familial Aimer Jeunes à Saint-Josse organisait une action devant ses bâtiments pour rappeler que la loi avortement mise au frigo par le gouvernement Vivaldi doit passer. Le planning familial Josaphat à Schaerbeek et le planning Séverine à Anderlecht étaient aussi en action. Pour Féminisme Yeah !, la mobilisation des travailleuses en centre de planning familial et en hôpital ainsi que de l’ensemble du mouvement féministe est la seule façon de défendre un avortement sûr, légal et gratuit pour vraiment toutes les personnes pouvant être amenées à en avoir besoin. 

Devant l’hospice Pachéco, différents collectifs organisaient une action relative au droit au logement. Les manifestant.e.s dénonçaient l’hypocrisie des pouvoirs publics :  ils proposent un appel à projet pour des occupations artistiques alors que des femmes sans-papiers logent à quelques mètres de ces logements vides, et que la ville en a récemment violemment délogé des occupant.e.s. Plusieurs femmes sans papiers à l’avant-garde de la lutte pour le droit au logement étaient présentes. Leurs interventions mettaient en avant l’importance des luttes contre les violences masculines et de la sécurité matérielle pour pouvoir y faire face.

Il y a eu un rassemblement organisé devant l’hôpital Saint-Pierre en coordination avec la CGSP (centrale des services publiques du syndicat socialiste FGTB) et la Santé en Lutte en soutien aux soignant.e.s et travailleuses en hôpital. Une membre de la CGSP a pris la parole dans un discours poignant sur le travail des femmes, et le travail notamment des nettoyeuses au sein des hôpitaux. Une représentante de la Santé en lutte a également rappelé les manques de moyen des soignant.e.s, et a évoqué les revendications de ce mouvement (par exemple un refinancement conséquent de la santé, et la réduction collective du temps de travail avec embauche compensatoire). 

Devant la tour des pensions, la CNE s’est rassemblée pour réclamer une pension digne de ce nom pour les femmes : ramener l’âge de la retraite à 64 ans, élever la pension minimum à 1500 euros, et pour combattre la vision patriarcale d’une “carrière complète”. Étaient présentes beaucoup de travailleuses à temps partiel, de travailleuses titre service… La CNE du non-marchand était présente aussi à la gare centrale et les travailleuses ont rappelé à quel point l’Etat laissait des miettes au secteur non-marchand, pourtant essentiel (soins, culture, éducation). Ajoutons le piquet de grève devant le H&M rue neuve, car la grande entreprise de prêt à porter prévoit de licencier des travailleurs, qui sont en grande majorité des travailleuses. Avec la crise, les femmes ont perdu en moyenne deux fois plus de revenus que les hommes. 

Les avocates Fem & Law ont reproduit la chorégraphie féministe « Un violador en tu camino » devant le Conseil du contentieux des étrangers (CCE), pour dénoncer une prise en compte insuffisante des problématiques de genre par les instances d’asile belges, et appeler le CCE à sanctionner les décisions du Commissariat général aux réfugiés et apatrides qui minimisent ou ignorent les violences de genre et les persécutions sexistes.

Dans les Marolles, une action festive fut organisée par le mouvement Still Standing, avec une chorégraphie réalisée par des femmes du Collecti.e.f 8 maars. Rappelons qu’à l’heure actuelle, de nombreux lieux culturels sont encore fermés, et que les artistes, DJ’s, musicien.ne.s n’ont quasiment aucun moyen de subsistance. Ces secteurs sont extrêmement féminisés et dévalorisés. Le tour à vélo des déchainé.e.s est passée au même moment bloquer la rue, 300 femmes et genres minorisés ont croisé le rassemblement à vélo, la puissance qui s’est dégagée de cette occupation féministe de l’espace public fut un grand moment de la journée. 

La Marche Mondiale des Femmes était aussi présente comme chaque année, cette fois-ci à trois endroits différents à Schuman, la gare centrale et à la Monnaie, avec Amnesty International , les FPS (femmes prévoyantes socialistes) le PTB, et le CAL (centre d’action laïque). Plus ou moins 150 personnes étaient présentes à chacun de ces rassemblements. 

La cerise sur le gâteau était peut-être le rassemblement organisé à la place du Luxembourg par le Collecti.e.f 8 maars – Bruxelles. Plus ou moins 2000 femmes et genres minorisés se sont rassemblées à cet endroit selon les organisatrices, pour crier, chanter, entonner des slogans féministes. L’énergie était au rendez-vous ! 

La journée d’actions s’est terminée à l’église du Béguinage, avec un rassemblement organisé par différents collectifs de femmes sans papiers : témoignages, prises de paroles, affiches et slogans qui mettent en lumières les multiples formes de violences qu’elles subissent (racisme, violences masculines, précarité). Car la régularisation est un combat profondément féministe : les femmes sans titre de séjour sont encore plus soumises à l’exploitation et aux violences sexistes et sexuelles. Depuis le début de la pandémie, le mouvement des sans-papiers est le plus combatif et déterminé. Féminisme Yeah ! soutien la demande de régularisation de toutes les personnes sans papiers et demandeuses d’asile.

…Et partout en Belgique et dans le monde ! 

Des rassemblements étaient aussi organisés à Namur, Tournai, Louvain-la-Neuve, Liège, Huy. Mais également dans de nombreux pays du monde. Cette année, la lutte féministe au niveau international est particulièrement marquée par la victoire du mouvement argentin pour la légalisation du droit à l’avortement, les mobilisations massives et toujours en cours pour le droit à l’avortement et contre le gouvernement d’extrême-droite en Pologne ainsi que par la participation importante des femmes aux mouvements révolutionnaires en Biélorussie, en Algérie, au Liban ou dans la monté en puissance du mouvement Black Lives Matter aux USA mais aussi en Europe et dans le mouvement contre la crise climatique et ses effets dans les pays du sud global et à travers le monde. Le combat féministe reste bel et bien vivant, et la quatrième vague est là, sous nos yeux ! 

Perspectives

Les inégalités de classe, de genre et de race ont explosé cette dernière année. Loin d’être des dommages collatéraux inévitables, ces inégalités sont la colonne vertébrale du capitalisme. Les violences faites aux femmes, les entraves à l’autodétermination, la précarité, l’extrême-droite, la crise du soin, la destruction de la planète, l’impérialisme sont des fléaux dont on ne se débarrassera pas avec le gouvernement Vivaldi. À un féminisme néolibéral, il est primordial d’opposer un féminisme lutte de classe et révolutionnaire qui sache porter des revendications immédiates comme la régularisation des personnes sans papiers, l’investissement massif dans les services publics (transports, crèches, santé, cantines, logements), un accès réel et sans conditions à l’avortement, l’augmentation des moyens financiers pour la prévention primaire des violences, l’autonomie financières pour toutes les travailleuses avec ou sans emploi, des pensions complètes, la gratuité des protections périodiques et de tous les types de contraception … 

On le sait, en plus de clamer nos revendications et de se laisser enivrer par nos élans d’énergie le 8 mars, il faut pouvoir instaurer un rapport de force pour les faire passer. Comment ? S’organiser et se préparer à s’arrêter et prendre la rue tant qu’il le faudra ! Ca ne se fait pas seule et les obstacles sont nombreux c’est pourquoi il est primordial de pouvoir trouver des alliances et du souffle dans la base syndicale et les mouvements féministes unitaires actifs. 

Pour maintenir la pression, nous vous donnons dores et déjà rendez-vous pour une grève de 24h le lundi 29 mars. La FGTB et la CSC appellent à une journée de grève intersectorielle en front commun contre le blocage de l’augmentation des salaires à 0,4% par le patronat. L’enjeu féministe est de taille puisque les femmes ont déjà subit en moyenne deux fois plus de perte de salaire que les hommes depuis le début de la crise. Il est aussi important de pousser les syndicats à refuser la mise au banc des secteurs féminisés les plus touchés par la crise ainsi que la définition patriarcale des “carrières complètes” quand on sait que les carrières des femmes sont beaucoup plus souvent interrompues pour prendre soin de personnes dépendantes et que les femmes subissent énormément de temps partiel imposé. Faisons du 29 mars, une journée de lutte féministe ! 

Pour voir la vidéo que nous avons réalisé ce 8 mars c’est ici : https://fb.watch/4gucvjEHTJ/